La plupart des violonistes vous diront qu'aucun violon ne sonne aussi bien qu'un Stradivarius. Mais le Stradivarius d'aujourd'hui est-il toujours un Stradivarius ? C'est ce que se demande l'expert en violon Tim Duerinck.
Le moment est venu, 71 musiciens du monde entier viennent à Bruxelles pour concourir pour la première place du Concours Reine Elisabeth. Le lauréat recevra 25 000€, la participation à de nombreux concerts et l'édition de son propre CD. Un bon début pour une carrière internationale. Etant donné que l'instrument de cette année est le violon, le gagnant reçoit quelque chose en plus :il/elle reçoit le violon Stradivarius « Huggins » en prêt.
Même si vous n'aimez pas vraiment la musique classique, ce nom vous est sans doute familier. Les instruments de ce luthier ont la réputation d'être les meilleurs. Leur impact sur l'histoire de la musique est donc énorme. Ils ont été utilisés dans d'innombrables performances et enregistrements. Malheureusement, ces 300 ans d'utilisation intensive ont également fait des ravages. Parce que les instruments voyagent à travers le monde, ils sont exposés à des variations de température extrêmes et à des accidents. La plupart des violons ont été endommagés, certains de façon irrévocable. Essentiellement, ils ont été restaurés et modifiés tellement de fois que l'on peut se poser la question :est-ce toujours un Stradivarius ?
Environ la moitié des instruments fabriqués par Stradivarius ont été perdus à jamais. Parmi les autres luthiers historiquement tout aussi importants, il y a beaucoup moins d'instruments « survivants ». Cela nous fait mal, surtout parce que les causes ne sont pas traitées. Le lauréat du Concours Reine Elisabeth parcourra également le monde avec le Stradivarius « Huggins ». Bien qu'il prendra certainement bien soin de l'instrument, un accident est vite arrivé...
Alors pourquoi jouons-nous encore de ces violons ? La plupart des violonistes vous diront qu'aucun violon ne sonne aussi bien qu'un Stradivarius. Plusieurs études scientifiques ont montré qu'il s'agit d'un mythe :ni les violonistes professionnels ni un public d'experts ne peuvent reconnaître le son d'un Stradivarius lors d'expériences scientifiques. De plus, les violons fabriqués par des facteurs d'instruments contemporains ont obtenu des résultats légèrement meilleurs aux tests à l'aveugle que les anciens violons italiens. Il ne s'agit pas d'un avis subjectif mais d'un constat scientifique objectif.
Fantastique, il y a donc une alternative! Nous sommes dans un nouvel « âge d'or » de la lutherie. Le moment n'est-il pas venu de mieux préserver notre précieux patrimoine pour les générations futures et d'accorder à Stradivarius et ses collègues une retraite digne ? Le conservateur du musée du violon de Crémone, ville natale de Stradivarius, l'a dit ainsi :« Nous conservons et restaurons les violons, mais lorsqu'ils atteignent un certain âge, ils deviennent trop fragiles pour jouer ». Le musée réalise donc un dernier enregistrement du son des instruments, afin de le préserver pour les générations futures, avant d'offrir aux instruments une longue et heureuse retraite, espérons-le.
Regardons vers l'avenir. Il n'y a jamais eu autant de luthiers talentueux qu'aujourd'hui, et il y a là une opportunité. Nous donnons un exemple de la façon dont cela pourrait être fait différemment :ne prêtez pas au gagnant du Concours Reine Elisabeth un Stradivarius pendant quelques années, mais donnez-lui un violon nouvellement construit pour le reste de sa carrière. Organiser un concours ouvert aux luthiers, comme le fait déjà le Concours Reine Elisabeth pour les compositeurs. Laissez le violoniste gagnant, avec un jury professionnel, choisir le meilleur instrument.
Prenez soin de notre riche histoire, également pour les générations futures, en protégeant mieux les instruments anciens contre d'autres dommages.
Le Concours Reine Elisabeth est là pour promouvoir la musique classique. Elle soutient déjà de jeunes musiciens et compositeurs. Qu'elle soutienne également les jeunes luthiers. La musique classique ne peut exister que grâce au compositeur - musicien - facteur d'instruments Holy Trinity. Un luthier contemporain au moins aussi bon que Stradivarius mérite notre attention.
Signé :Tim Duerinck (chercheur UGent/Hogent &luthier), Pieter Goossens (luthier), Gita Deneckere (Doyen Faculté des Arts et Philosophie UGent), Marc Leman (Prof. Musicologie UGent), Benjamin Glorieux (musicien).
Pour renforcer cet attrait, Tim Duerinck a réalisé une œuvre d'art symbolique. La valeur d'un violon est un violon fabriqué à partir d'argent déchiqueté. L'œuvre d'art vise à la fois à poser des questions critiques et à faire appel à l'imagination. Quelle est la valeur d'un violon ? Sommes-nous ouverts au changement ? Est-il justifiable que nous continuions à jouer d'anciens instruments de musique et que nous les exposions ainsi à des dommages dus à leur utilisation ? Mais aussi :qu'est-ce qui est possible si nous offrons aux jeunes luthiers le soutien et les opportunités qu'ils méritent ?
La valeur d'un violon sera exposée au Design Museum Gent lors du Concours Reine Elisabeth (29 avril – 25 mai).
