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Ma mère, mon miroir

La relation entre parent et enfant peut être complexe, mais elle se résume parfois à un simple « Oh, on s’y fait ».

Aucun batteur électrique n’avait la force des mains de ma mère. Après avoir fait glisser bruyamment ses bagues en or dans un bol de céramique, elle pétrissait le mélange de farine, d’eau et de sel. 

Manipulant la pâte à roti sur le plan de travail, elle la séparait en petites boules qu’elle écrasait et façonnait en triangles presque parfaits sans l’aide d’un rouleau. De ses doigts courts aux ongles rouges recourbés en serres, elle déposait et retournait les rotis directement sur la plaque chauffante.

« Comment fais-tu ? ai-je demandé une fois en grimaçant, mon visage d’enfant de huit ans rougi par la chaleur. Tu n’as pas mal ? »

Elle a ri et a jeté pour moi dans une assiette le plus petit morceau du lot, un paratha grand comme ma main. Le bout de ses doigts était recouvert de corne, complètement insensible après des décennies d’exposition à la chaleur. « Oh, on s’y fait. »

J’ai une photo de ma mère à mon âge environ, 24 ans, quelques mois avant qu’elle quitte l’Inde, il y a bientôt 40 ans. Plus jeune, je détestais ce portrait. Tout le monde s’émerveillait de notre ressemblance : même tignasse épaisse et sombre, même nez rond, même menton volontaire. J’ai hérité des pommettes de mon père et de son sourire en ligne droite, mais tout le reste vient de maman – que cela me plaise ou non.

J’ai grandi entourée de filles prénommées Ashley ou Jessica à la chevelure couleur de paille, au nez aquilin et au ventre délicat. J’aurais voulu paraître fragile et éthérée plutôt que robuste d’épaules et couleur café comme ma mère. Vous le savez sans doute, mais il m’a fallu du temps pour le comprendre : changer complètement d’apparence, c’est difficile.

Plus je vieillis, plus je ressemble à ma mère et, paradoxalement, plus je me plais. La peau de mes épaules a le même grain que la sienne : enfant, quand nous allions à la piscine, je grimpais sur son dos comme un bébé koala et je posais ma joue contre sa peau fraîche et douce. 

Nous prenons le même air dégoûté quand nous fronçons les sourcils. Mais le plus frappant, c’est la façon dont mes mains deviennent semblables aux siennes. Je lui ai volé je ne sais combien de bagues, je laisse pousser mes ongles et, souvent, je laque leur ovale d’un rouge qui tranche sur ma peau mate, tout comme elle. Les terminaisons nerveuses du bout de mes doigts sont insensibles tant je les ai exposées à la chaleur en essayant de faire du rogan josh et de l’aloo gobi.

La crinière de ma mère est grise à présent, et elle a une petite tache brune sur la joue (là où je commence à en voir une sur la mienne – merci, maman), mais dans mon esprit, elle a toujours la vingtaine, l’âge de son portrait. Et plus je vieillis, plus je puise un réconfort inespéré dans l’idée de pouvoir la voir où que je sois, ses mains sur les miennes, et qui n’appartiennent qu’à nous.


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