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Petit guide des choses évidentes de la vie courante

Pourquoi les choses évidentes mettent-elles parfois un temps fou à parvenir à notre cerveau ? Il y a à peine une dizaine d’années qu’on m’a enfin éclairé sur le secret du réservoir de carburant.

Sam Island
Dans toute voiture, on trouve désormais presque toujours le symbole de distributeur d’essence sur le tableau de bord. Juste au-dessus, une flèche indique de quel côté se trouve le bouchon du réservoir. Il était temps !

Pendant 30 ans, et pour plusieurs véhicules, j’ai déployé de vaillants efforts pour me rappeler de quel côté je devais me placer pour faire le plein. Je me tordais le cou pour repérer la trappe. En vain.
J’avais toujours tout faux et me voyais contraint de tirer le tuyau au-dessus de la voiture à son maximum pour gagner les quelques millimètres qui me permettraient d’entrer le pistolet de distribution dans le réservoir. Et toujours cette question lancinante: dois-je tirer plus fort (au risque d’arracher le tuyau, de voir le carburant se répandre et de succomber à des brûlures douloureuses), ou déplacer la voiture? Évidemment, je ne l’ai jamais déplacée.

Aujourd’hui, je sais. Je mate l’idéogramme et, tout en sifflotant un air joyeux, je me range calmement du bon côté. La vie est belle. Pourquoi personne ne m’en a parlé plus tôt?
Autre chose: il y a deux ans, j’ai découvert qu’on pouvait nettoyer l’argenterie avec du bicarbonate de soude, du papier alu et de l’eau chaude. Vos couverts et bijoux en argent sont ternes? Plus la peine de frotter avec une brosse à dents et un produit spécial. La réaction chimique provoquée par l’aluminium fait instantanément disparaître la ternissure sur la surface argentée qui migre vers le papier.

Ne me demandez pas comment ça marche. Je l’ignore. Mais même si vous aviez toute l’argenterie de la série Downton Abbey à astiquer, après 10 minutes seulement, vous seriez déjà assis dans l’office à partager les der­niers potins sur ces messieurs dames de l’aristocratie du dessus.

Pourquoi n’existe-t-il pas un manuel de leçons de vie que tout le monde recevrait à ses 18 ans ? Pour ce qui est d’ajouter à la somme des bonheurs humains, ces informations valent davantage que les vêtements haute couture et les voyages en première classe.

Oh ! comment donc ? Une troisième révélation vient de me parvenir. Celle-là, si je l’avais connue plus tôt, elle m’aurait épargné – voyons, un petit calcul mental – 174 heures de frustration, de mauvaise humeur et de mépris pour ma petite personne.

Je m’explique. Il semble qu’il y ait un consensus chez les manufacturiers de draps-housses en ce qui concerne l’étiquette de leur produit: elle est fixée au coin qui tombe en haut à gauche ou en bas à droite du matelas. Merveilleux! Savoir cela nous évite le profond désarroi dans lequel nous plongent ces vaines tentatives d’ajuster le côté le plus court avec le côté le plus long et inversement, puis à recommencer et à désespérer de l’injustice d’un monde impitoyable et amoral. Bien sûr, même ceux qui savent ne sont pas à l’abri d’une tentative d’ajuster un drap-housse pour grand lit sur un lit deux places, ou un drap-housse pour lit à deux places sur un grand lit. La vie est vraiment une perpétuelle expérience.

Il y a peut-être aussi une solution que connaissent les plus avisés, ceux qui plient les draps comme des origamis – le deux places en paon et le grand en caniche – prêts à envelopper le matelas. Allez savoir.
Ma seule certitude est qu’il me reste encore beaucoup d’astuces à découvrir. Par exemple, comment préparer une glacière pour que la viande ne finisse pas trempée. Ou comment arranger un compost pour qu’il ne se transforme pas en boue saturée de bestioles. Ou encore, est-il possible de bénéficier d’un éclairage de 12-volts dans le jardin sans que les rats viennent ronger le ­cordon d’alimentation trois jours après son installation ?

Si je me fie à mon expérience, je n’aurai pas de réponses à ces questions avant l’âge de 104 ans, quand je me ficherai complètement d’installer un éclairage dans mon jardin ou de remplir la glacière.
Quelqu’un pourrait-il se donner la peine, aujourd’hui, d’écrire un livre dressant la liste des trucs utiles essen­tiels ? Il pourrait s’intituler La vie : guide de l’utilisateur.
J’en ai bien appris quelques-uns. Je sais que le whisky est toujours une erreur. Que la crème fraîche, bien qu’elle soit délicieuse, engendre le regret. Et je sais qu’acheter des outils de mauvaise qualité n’est jamais une bonne idée.

J’arrive maintenant à ranger un fil électrique de façon qu’il ne s’emmêle pas (appris à 35 ans); je sais déboucher le champagne sans qu’il ne se répande par terre (appris à 45 ans); et je sais cuire un œuf sur le plat sans que le dessous ne fasse une croûte sèche et dure (la semaine dernière).

Mais les questions restent légion. Comment enlever les poils de chat sur la moquette de la voiture si même l’aspirateur n’y arrive pas ? Comment ouvrir une boîte de jus ou de lait sans que le contenu n’arrose vos vêtements ? Et comment empêcher que les miettes s’accumulent dans le tiroir à couverts même si jamais personne ne s’en approche avec une tartine de pain grillé ?
Avec de la chance, j’ai encore une ou deux décennies à vivre. J’aurais besoin de ce bouquin. Il me reste tant de choses à apprendre. Par exemple: comment constituer une cave à vin digne de ce nom quand un idiot écluse les bouteilles aussitôt qu’elles arrivent ?

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