Le décrochage scolaire est une réalité à laquelle toute école secondaire doit faire face. De plus en plus de programmes y sont instaurés pour redonner goût aux élèves de continuer.
A 15 ans, Nicolas Bellemare traîne comme un boulet ses kilos en trop et son ras-le-bol de l’école. Il vogue de classe d’adaptation en classe d’adaptation, sans jamais réussir à trouver sa voie. Déboussolé, mal dans sa peau, l’élève de l’Ecole secondaire des Chutes, à Shawinigan, est un parfait candidat au décrochage. Jusqu’au jour où lui qui aime faire rire découvre un programme qui invite les jeunes à monter sur les planches tout en continuant d’étudier. Il n’en faut pas plus pour relancer Nicolas. «Pour intégrer l’Ecole nationale de l’humour, je devais absolument terminer ma 5e secondaire, raconte-t-il. Alors, je me suis accroché!»
Le Québec reste l’un des champions du décrochage au Canada. Un fléau lourd de conséquences. Outre le coût social, il est prouvé qu’un jeune qui ne termine pas son secondaire a de fortes chances d’être non seulement moins à l’aise financièrement, mais aussi moins heureux et épanoui dans sa vie d’adulte que ses camarades diplômés. «Malgré les progrès récents, il reste encore beaucoup à faire en matière de décrochage, surtout pour les enfants issus de milieux défavorisés», reconnaît le psychoéducateur Pierre Potvin, professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Ses travaux ont inspiré www.uneplacepourtoi.qc.ca, un site qui donne aux 12-17 ans qui ne supportent plus l’école des solutions pour surmonter cette phase difficile. Car la stratégie a changé: on ne se demande plus comment ramener le décrocheur dans le giron de l’école; on fait tout pour l’y retenir.
En 1996, la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean se classait au 9e rang pour ce qui est du taux de diplômés. Aujourd’hui, elle caracole dans le peloton de tête. Certes, en 2006-2007, année pour laquelle on dispose de données, 14 pour 100 des jeunes Saguenéens avaient décroché du système scolaire. Mais on est bien loin du taux de 32 pour 100 enregistré dans les écoles de Montréal.
Professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi et cofondateur du Conseil régional de prévention de l’abandon scolaire (CRÉPAS) en 1996, Michel Perron est l’un des artisans de ce miracle. Plutôt que de réagir après coup, quand le jeune a déserté l’école, le CRÉPAS travaille en amont, s’attaque à la source du décrochage. Et il tient compte aussi de la dimension sociale du problème, s’efforçant de mobiliser toutes les parties prenantes – les enseignants et les parents, bien sûr, mais aussi les entreprises et la collectivité – autour d’un même combat: la persévérance scolaire.
Voici cinq initiatives prédécrochage, lancées aux quatre coins de la province pour stimuler l’apprentissage. Mêlant l’utile à l’agréable, elles donnent des résultats remarquables.
«Vous dressez une galette de riz humidifiée, vous y déposez vermicelle, poulet et crevettes tranchés, laitue et menthe, et vous enroulez le tout pour en faire un rouleau de printemps.» Une recette supercool pour Anthony Randoll et Marc-Antoine Denis, finissants de l’Ecole polyvalente Saint-Joseph, à Mont-Laurier. «Au début, on trouvait ça un peu louche, mais c’est tellement bon qu’on en refait à l’occasion», disent ces deux ados de 17 ans, qui ne tarissent pas d’éloges sur la Manne du Jour.
Dans cet atelier cuisine, qu’ils fréquentent à la résidence Saint-Joseph où ils sont internes, une cuisinière vient chaque semaine concocter des petits plats en compagnie d’une quinzaine de jeunes. Directrice de l’organisme d’entraide alimentaire, Pauline Vallée assure la livraison des victuailles.
Les élèves sont enchantés par l’initiative. «Avant, j’étais affamé le midi et je dormais pendant les cours. Maintenant que je mange correctement, mes notes s’en ressentent», dit Marc-Antoine, qui rêve de poursuivre des études en sciences humaines. «Depuis que je vis à la résidence et que je cuisine, j’ai perdu 30 livres, et mes performances scolaires se sont vraiment améliorées», renchérit Anthony, qui dit mieux se concentrer depuis qu’il prend le temps de déjeuner.
Les responsables de la Manne du Jour, comme ceux du Club des petits déjeuners du Québec, ont compris le message: un écolier bien nourri est un écolier qui réussit.
Spécialiste en intervention sociale, Martin Dusseault a fondé en 2005 le programme Bien dans mes baskets (BDMB), à l’école secondaire Jeanne-Mance. Objectif: redonner, grâce au basket-ball, le goût des études aux ados de cette école du Plateau-Mont-Royal de Montréal – où 41 pour 100 des élèves ont terminé leur secondaire sans diplôme en 2006-2007. L’initiative est un franc succès: en 2010, neuf finissants sur dix inscrits au BDMB ont obtenu leur diplôme d’études secondaires, contre 67 pour 100 seulement des élèves pour l’ensemble de l’école.
En 2008, Eric Oupoh, élève d’origine haïtienne adopté par une famille de Chambly, est sur le point de décrocher quand il rejoint BDMB en 4e secondaire. Comme 75 autres jeunes de son établissement, il se découvre une passion pour le basket. Trois fois par semaine, été comme hiver, Eric travaille donc ses rebonds et ses tirs au panier, en plus d’étudier avec acharnement. Car son seul espoir de côtoyer un jour ses idoles de la NBA américaine est de poursuivre au collégial en AAA. «Pour ça, il fallait absolument que j’obtienne mon DES», raconte le jeune homme, qui a terminé son secondaire avec une moyenne de 72 pour 100 et remporté le prix de l’«Elève athlète ayant démontré persévérance académique et sportive» au Gala d’excellence de la Fédération québécoise du sport étudiant. Un prix que se disputaient… 117000 prétendants! C’est la deuxième année qu’un élève de BDMB rafle cette distinction.
Rien ne fait plus plaisir à Martin Dusseault que de voir tous ces jeunes se serrer les coudes sur un terrain plutôt que d’aller jouer les caïds dans les gangs de rue. Il rêve que d’autres jeunes puissent profiter de l’expérience. Un vœu sur le point d’être exaucé puisque trois projets pilotes vont voir le jour dans la province.
«Les mots sont des grains de nourriture pour l’esprit», aime à dire Gilles Vigneault, cité dans une enquête sur la lecture et l’écriture menée dans trois écoles du Bas-Saint-Laurent auprès de garçons menacés de décrochage. Selon Jean-Yves Lévesque et Natalie Lavoie, professeurs à l’Université du Québec à Rimouski, qui ont dirigé cette étude, les filles aiment lire et voient souvent l’intelligence comme un moyen de réussir. Les garçons, eux, lisent peu et estiment parfois qu’être intelligents les dispense de faire des efforts… et décrochent! Résultat: à la fin du secondaire, 40 pour 100 des étudiants, contre 26 pour 100 des étudiantes, accusent un retard scolaire. «Pourtant, la lecture et l’écriture sont de puissants véhicules d’intégration sociale et professionnelle», rappelle Jean-Yves Lévesque.
Entre 2003 et 2007, une trentaine de garçons âgés de 9 à 13 ans ont goûté à la nouvelle «littératie» scolaire et familiale. Lecture à voix haute, discussions, ateliers d’écriture… Certains ont même participé aux cercles de lecture père-fils, en choisissant les thèmes ensemble: bandes dessinées, livres sur la nature, sur le sport… «Mais c’est Le guide de l’auto qui remporte la palme», dit Pauline Jean, animatrice dans un centre d’alphabétisation de Rimouski.
Après les séances de lecture, les débats s’animaient. Quel est le camion le plus rapide? La bande dessinée d’Astérix est-elle meilleure que le film? A quel animal mon père ressemble-t-il? Quel conte de Fred Pellerin est le plus intrigant?
Grâce à ces activités littéraires, qui seront bientôt étendues à d’autres régions, la proportion de garçons qui n’ont pas redoublé au secondaire serait passée de 30 à 56 pour 100.
A la fin de leur 2e secondaire, Molly Roy, de Lac-Mégantic, et Arianne Corriveau, de Stornoway, se posent de sérieuses questions. L’une craint de décrocher, et l’autre voudrait suivre une formation qui lui permettrait d’aider ses parents à la ferme. Laissant derrière elles famille et village en septembre 2008, elles intègrent la Maison familiale rurale (MFR) du Granit, à Saint-Romain en Estrie, un établissement fondé il y a 11 ans par la commission scolaire, des agriculteurs et des membres de la MRC. Aujourd’hui, quatre MFR œuvrent au Québec, et d’autres régions étudient la possibilité d’en fonder une.
Molly a choisi la foresterie, et Arianne l’agriculture. Pour obtenir simultanément DES (diplôme d’études secondaires) et DEP (diplôme d’études professionnelles), elles vivent la moitié du temps à la MFR et l’autre moitié sur leur lieu de stage. «Les classes sont petites et on est moins gênées pour poser des questions aux professeurs… qui sont presque nos amis», expliquent les deux étudiantes.
Entre leurs cours, la vie en entreprise rurale, leurs loisirs encadrés et l’heure obligatoire consacrée aux devoirs, elles n’ont pas le temps de penser à décrocher. «Quatre-vingt-cinq pour cent de nos 96 jeunes – dont les trois quarts sont des garçons – nous quittent avec un diplôme en poche», dit fièrement Chantal Vigneault, directrice de la MFR.
Après leurs deux années de «compagnonnage», Molly et Arianne fréquenteront le cégep. «Maintenant, nous savons ce que nous voulons, et ce que nous valons», disent les deux amies, pour qui la vie rurale n’a plus de secrets. Que feront-elles si leurs ados menacent un jour de décrocher? «On les enverra dans une MFR!»
En 1994, Hélène Arsenault, alors élève de 4e secondaire à La Pocatière, met sur pied un projet de théâtre visant à donner aux élèves la possibilité de s’exprimer sur scène, tout en stimulant leur goût d’apprendre. Le succès de Secondaire en spectacle est fulgurant: l’initiative est aujourd’hui implantée dans 277 écoles et compte 15000 élèves participants.
Pour Nicolas Bellemare, c’est une bénédiction. A l’Ecole secondaire des Chutes, l’élève ne trouve sa place ni en classe ni dans la cour de récré. Il s’isole, flirte avec le décrochage, puis, en 2007, participe tout à fait par hasard à un atelier de théâtre. Encouragé par ses premiers succès d’humoriste, Nicolas joint les rangs de Secondaire en spectacle. Sa vie en est transformée. Clown improvisé, l’artiste met en scène ses déboires… et voit en quelques mois ses notes de français atteindre des sommets personnels.
«Ce programme m’a sauvé la vie», raconte le jeune homme, aujourd’hui âgé de 18 ans. Nicolas a finalement décroché… son diplôme et a été, cette année, le porte-parole du 10e rendez-vous panquébécois de Secondaire en spectacle. Sa manière à lui de redonner au suivant…
On peut inventer ce qu’on veut pour combattre le décrochage, tous les experts sont d’accord: l’ingrédient numéro un du succès, c’est l’investissement des parents, et le climat familial. Selon Pierre Potvin, ceux qui vivent dans un climat harmonieux ont une plus grande facilité d’adaptation, réussissent mieux et présentent moins de risques de décrochage. Plus les parents s’intéressent à leur ado, plus ils le soutiennent et le stimulent, meilleurs sont ses résultats scolaires.