La patiente: Nirvanie Dyal, 41 ans, comptable
Les symptômes: règles très douloureuses, ballonnements, accumulation de liquide dans l’abdomen
La médecin: Dre Meghan McGrattan, gynécologue à l’hôpital Mount Sinai
Illustration de Victor Wong
Nirvanie Dyal avait toujours souffert de règles douloureuses. Cette comptable aujourd’hui âgée de 41 ans se souvient que certains jours, à l’université, elle parvenait à peine à se rendre en classe. Le médecin qu’elle avait alors consulté lui avait répondu que c’était « juste des douleurs dues aux règles » et lui avait prescrit un contraceptif pour atténuer les symptômes. Toutefois, comme Nirvanie avait des antécédents familiaux de cancer du sein et que des études ont démontré un lien entre cette maladie et les contraceptifs oraux, la solution ne pouvait être que temporaire.
En 2017, après 10 ans de pilule, son médecin de famille à Toronto lui annonce qu’il est temps d’arrêter. C’est ce qu’elle fait, et la douleur revient. Tous les 21 jours, elle passe des heures recroquevillée à se tenir le ventre.
«C’était comme des coups de poignard aux entrailles», raconte-t-elle. Les médicaments en vente libre ne la soulagent pas. Pas plus que les remèdes naturopathiques. Seuls les bains chauds la soulagent un peu.
Au cours des deux années suivantes, la douleur ne fait qu’empirer. Elle devient si intense que Nirvanie doit organiser sa vie en fonction de ses règles, sachant que, quatre jours par mois, elle ne peut rien prévoir et doit cesser de travailler. La douleur s’accompagne de ballonnements. En 2019, lors du mariage d’une amie, elle doit dissimuler son ventre pour les séances de photos. «On aurait dit que j’étais enceinte de quatre mois.» Un examen gynécologique n’apporte aucune réponse. Une fois de plus, la douleur est attribuée à son cycle.
Au printemps 2020, les ballonnements cessent de se dissiper après ses règles. Puis la douleur s’étend à son dos. Nirvanie se rend également compte qu’il suffit désormais de petites quantités de nourriture pour avoir un sentiment de satiété. Son médecin l’envoie passer une échographie. « Ils n’ont pas le droit de nous dire quoi que ce soit, mais la technicienne semblait effrayée. Elle a quitté la pièce pour aller chercher son superviseur. »
L’échographie révèle une ascite, une accumulation de liquide dans l’abdomen. Nirvanie est transférée aux urgences, où les médecins retirent de son estomac un litre de fluide brun. «J’étais allongée à observer ce qui se passait et j’avais peur. C’était surréaliste.» On lui annonce qu’il peut s’agir d’un cancer, ou peut-être d’une infection du foie. Pensant à ses antécédents familiaux de cancer, elle est terrifiée.
Nirvanie est autorisée à quitter l’hôpital mais doit revenir le lendemain pour passer de nouveaux examens, dont une autre échographie et une tomodensitométrie. Elle reste quatre jours à l’hôpital, mais les médecins ne parviennent pas à comprendre ce qui ne va pas.
L’ascite est le plus souvent causée par une cirrhose du foie, une insuffisance cardiaque ou un cancer. Les résultats du laboratoire révèlent seulement que le fluide est « hémorragique », c’est-à-dire teinté de sang.
Nirvanie est adressée à un oncologue spécialiste du foie, qui élimine la possibilité d’un cancer ; à un rhumatologue, qui écarte la maladie de Crohn ; et à un gastroentérologue, qui fait une endoscopie de l’estomac sans rien trouver d’anormal.
La patiente, qui n’est pas mariée, s’inquiète alors de sa fertilité et tente de faire congeler ses ovocytes, mais en raison de la quantité de fluide, les médecins ne parviennent à en collecter qu’un. Elle le fait tout de même congeler. En novembre 2020, elle subit une chirurgie exploratoire, et les médecins découvrent de nouveau que son abdomen est rempli d’un fluide sanguinolent. Nirvanie présente également des zones de tissu teintées de brun sur le foie, le côlon et la paroi de l’estomac. L’équipe chirurgicale soupçonne un résultat erroné du test ayant écarté l’hypothèse du cancer ou encore une infection. Ils pratiquent une biopsie sur plusieurs des taches et sont surpris lorsque le laboratoire renvoie un résultat positif pour l’endométriose. Nirvanie est alors envoyée à l’une des équipes gynécologiques de l’hôpital Mount Sinai de Toronto.
L’endométriose est caractérisée par la croissance à l’extérieur de l’utérus de tissu similaire à la muqueuse utérine. Elle touche environ 10% des Canadiennes et prend généralement au moins sept ans à être diagnostiquée, car on considère trop souvent ses symptômes comme de « simples » douleurs menstruelles. Les douleurs lors du cycle menstruel sont le symptôme le plus courant contrairement à l’ascite. Après la chirurgie exploratoire, le fluide dans l’abdomen de Nirvanie a continué de s’accumuler. « Je ne pouvais pas m’allonger car la pression m’empêchait de respirer correctement, raconte-t-elle. Je devais surélever mon corps en m’appuyant sur des oreillers pour pouvoir dormir. »
Peu de temps après cela, la Dre Meghan McGrattan, postdoctorante spécialisée en chirurgie gynécologique à l’hôpital Mount Sinai, retire près de trois litres de fluide de l’abdomen de Nirvanie. De toutes les patientes qu’elle a drainées au cours de sa carrière, elle n’a jamais vu d’ascite causée par une endométriose. Elle fait des recherches et découvre que de tels cas sont rares. Seules 127 patientes atteintes d’endométriose dans le monde présentent une telle accumulation de fluide.
«L’endométriose n’est pas une cause d’ascite bien comprise, mais nous continuons de chercher, explique la médecin. Si vous n’avez pas cette maladie à l’esprit quand vous cherchez, vous ne la trouverez pas.» La Dre McGrattan espère que cette découverte permettra à des femmes comme Nirvanie de ne pas souffrir des années avant d’obtenir un diagnostic.
Les médecins cherchent encore la cause exacte de l’endométriose et n’ont toujours pas trouvé de traitement définitif, mais il existe des médicaments pour soulager la douleur. Ces médicaments peuvent également augmenter la fertilité. « Nous expliquons à nos patientes qu’il s’agit d’une maladie chronique et que le traitement est là pour les aider à se sentir aussi bien que possible », précise la Dre McGrattan. En apprenant qu’elle souffrait d’endométriose et non de cancer, Nirvanie n’a éprouvé que du soulagement.
«J’aimerais pouvoir revenir en arrière et me dire qu’il n’est pas normal de souffrir autant, regrette-t-elle. J’aurais peut-être été plus insistante auprès des médecins.»
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