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J’ai fait un AVC dans la vingtaine.

L’histoire d’une femme dont un AVC subit dans la mi-vingtaine a changé la vie. Pour de bon.

Je m’assieds sur le bord du trottoir, j’allume une cigarette et j’attends la police. C’est un dimanche après-midi ensoleillé du mois d’août à Victoria. Je n’ai pas fait mon arrêt obligatoire et je suis entrée en collision avec un autre véhicule.

Lorsque les policiers arrivent, j’essaie de leur dire que j’étais en route vers l’urgence, mais les mots ne sortent pas nettement. Je ne leur dis pas que je ne sentais plus le côté droit de mon corps à la suite d’une chute du lit tôt samedi matin, alors que je m’étais effondré comme un poisson sur le sable et que j’avais essayé de m’en remettre. Je n’évoque pas que pendant les 36 heures suivantes, alors que mes sensations revenaient lentement, tout ce que j’avais pu faire ce fût de me traîner occasionnellement à la salle de bain ou vers le frigo pour du jus de pomme. Je ne mentionne pas non plus que jamais je n’avais pensé appeler le 911, ni même que je m’étais traînée à ma voiture pour aller chercher de l’aide. Ils ne me croiraient pas parce que ce qu’ils avaient devant eux, c’était une femme dans la mi-vingtaine, vêtue d’un maillot de bain une-pièce, marine et rose fluo, sur des collants d’exercice (c’était la mode à l’époque), incapable de se tenir debout, patraque, avec un trouble d’élocution. Quand ils me demandent où je vis, je ne m’en souviens pas et je n’ai pas de pièces d’identité. Ils pensent que je suis sous l’influence de quelque chose et que je devrais être conduite à la «cellule de dégrisement» pour dessoûler avant d’être accusée. Mais l’homme dont j’ai embouti la voiture s’interpose. «Elle ne va pas bien», dit-il. «Emmenez-la à l’hôpital.»

C’est ce que font les policiers. Mais ils parlent aussi à l’infirmière de l’accident et ils suggèrent qu’on me laisse «revenir» de mon état de consommation. Je ne dis rien. Je ne peux pas. C’est comme un film qui se débobine devant moi, quelque chose que je regarde plutôt que je le ressens. Les minutes deviennent une heure, puis 90 minutes. Enfin, mon père, un chirurgien oculaire bien connu à Vancouver, appelle. Il me cherche parce que j’ai raté un vol pour Vancouver où je devais me rendre pendant la nuit pour le visiter et que je n’ai pas appelé pour me décommander. «Votre fille a-t-elle des problèmes de drogue?» lui demande l’infirmière. «Non», réplique mon père. «Faites-lui passer un tomodensitogramme, tout de suite!»

Les signes d’un AVC

Voilà comment, quelque 40 heures plus tard, on a décelé mon AVC. Comme environ 80 % des accidents vasculaires cérébraux, le mien était ischémique, causé par un caillot qui bloque l’écoulement du sang à mon cerveau. Même si je me plais à penser qu’aujourd’hui le personnel médical est mieux informé et que, quand une jeune personne se présente à l’urgence avec des symptômes tels que des vertiges ou une perte partielle de la vision, ils envisagent immédiatement la possibilité d’un AVC, ce n’est pas encore toujours le cas. Les personnes de moins de 50 ans ne représentent qu’une fraction de ceux qui subissent chaque année un AVC, et dans ces cas, il arrive souvent que les médecins n’en voient pas les signes. En fait, une étude de 2009 de la Wayne State University de Detroit a révélé que 14 % des AVC sont diagnostiqués à tort comme étant des migraines, des troubles de l’oreille interne ou des convulsions.

Cela peut ne pas sembler beaucoup, mais pour Seemant Chaturvedi, un neurologue qui a été l’un des principaux auteurs de l’étude, c’est énorme. «Aujourd’hui, nous devons faire un diagnostic précis plus rapidement parce que nous avons le t-PA [une protéine anti-caillots découverte au milieu des années 1990], qui doit être administré dans les trois à six heures suivant l’AVC», dit-il. «L’un des importants messages de cette étude est que les AVC se produisent à tout âge, même chez les enfants

Jusqu’en août 1986, quand j’ai eu mon AVC, je n’en connaissais rien. À titre de reporter pour un journal de Vancouver, travailleuse acharnée qui couvrait en accéléré le milieu politique, j’étais bien trop occupée. Je ne me doutais certainement pas que mon habitude de fumer, qui avait commencé quand j’avais 13 ans et qui s’était accrue jusqu’à 60 cigarettes par jour, combiné à mes pilules contraceptives et à mes auras migraineuses occasionnelles me rendaient au moins 16 fois plus à risque d’avoir un AVC que les autres femmes de moins de 50 ans. Les spécialistes n’en savaient rien non plus. Ils m’ont fait subir des tests à maintes reprises jusqu’à ce qu’ils admettent finalement qu’ils ne pouvaient trouver une cause sous-jacente pour le caillot. À cette époque, on n’avait pas assez de données sur les AVC. Perplexes, ils m’ont simplement dit qu’il y avait peu de chance de récidive, mais que je devais arrêter de fumer, juste au cas, prendre une aspirine par jour et mener une vie belle et prudente.

Aujourd’hui, la communauté médicale est bien plus au fait que le mode de vie est un facteur important dans les accidents vasculaires cérébraux. Peter Rothwell, professeur de neurologie clinique à l’Oxford University, en Angleterre, a récemment effectué une étude comparative entre les AVC qui ont eu lieu dans les années 1980 et ceux qui sont survenus depuis 2002. Il a noté que même si les hommes ont diminué de 50 % leur risque d’AVC au cours des 20 dernières années, le taux de diminution pour les femmes est loin derrière, de seulement 15 à 20 %. Au cours de cette même période, il y a même eu une légère augmentation du nombre d’AVC chez les femmes âgées de moins de 50 ans. «Même avec les pilules contraceptives récentes, il y a un risque», souligne-t-il. «Les femmes cessent de fumer moins vite que les hommes. Peu d’exercices et plus d’alcool peuvent augmenter la pression artérielle tant chez les hommes que chez les femmes. Une fois qu’elles arrivent dans la quarantaine et la cinquantaine, on leur prescrit maintenant beaucoup plus de THS [traitement hormonal de substitution] que dans le passé.» (Le THS augmente le risque d’AVC chez les femmes post-ménopausées.) «On doit informer davantage la population », poursuit-il. «Quand on est dans la vingtaine et la trentaine, on n’imagine pas avoir des problèmes de santé. Mais les risques sont là.»

La recherche du changement

Malgré les conseils de mes médecins, je ne pouvais pas me mettre à vivre prudemment pour toujours. Ça me rendait folle de voir les patrons du journal me traiter comme une petite chose fragile qui se briserait à la moindre difficulté. J’avais besoin d’un changement. En 1988, j’ai déménagé à Montréal, vers une nouvelle langue et un nouveau travail de journaliste aux évènements sportifs.

J’ai prévenu Mel Morris, alors rédacteur en chef de The Gazette à Montréal, «Je ne joue ni au golf, ni au curling». Qu’à cela ne tienne. Ma première affectation était à Chicoutimi pour couvrir le Championnat canadien de curling masculin. Ce n’était pas si mal, bien que je n’avais pas la moindre idée de ce que je devais regarder quand je suis entrée dans l’aréna.

J’ai pris des cours de boxe, j’ai fait du saut à l’élastique et grimpé des murs d’escalade, cherchant un exutoire à l’insouciance avec laquelle j’avais composé concernant le fait que j’aurais pu mourir. En fin de compte, j’ai tempéré mes activités avec une routine de poids et de course de fond, mais l’AVC a laissé mon côté droit plus faible que le gauche, de sorte que pendant mes courses, mon pied droit a souvent glissé après une heure ou deux et provoqué ma chute. Mes deux genoux sont encore marqués d’un rouge intense, rappels tangibles de randonnées longues et difficiles. Aujourd’hui, après 5 marathons, y compris New York, Chicago et Vancouver, je me contente de courir tranquillement les sentiers avec mon mari et notre chien. Quand nous courons, mon mari, ne plaisantant qu’à moitié, continue de me signaler les difficultés comme «attention à la petite brindille!»

Voici un autre des vestiges de mon AVC: malgré un évènement si catastrophique, je suis prête à voir de nouvelles possibilités et à prendre des risques en dépit d’une crainte toujours présente de l’inconnu. C’est mon principal message quand je raconte mon histoire en public ou quand je donne des conseils privés à des amis. Parce que j’ai eu une deuxième chance et que je ne veux pas la gaspiller, peu importe à quel point j’ai peur. Mon AVC s’est produit il y a 24 ans, mais il influence encore ma vie jour après jour et si mon histoire peut aider seulement une femme à cesser de fumer ou à adopter un mode de vie plus sain, alors ça vaut la peine d’en parler.


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