Le 19 juin, le Conseil du CERN a approuvé à l'unanimité la mise à jour de la Stratégie européenne pour la physique des particules. L'élément phare de ce plan stratégique est la construction d'une véritable « usine du Higgs », un super accélérateur de particules de 100 kilomètres de long qui remplacera à terme l'actuel Grand collisionneur de hadrons (LHC). Prix à payer :21 milliards d'euros.
Depuis 1975, le modèle standard de la physique des particules élémentaires nous a fourni une théorie qui décrit l'action des forces fortes, faibles et électromagnétiques. Chaque prédiction faite par le modèle trouve une confirmation expérimentale, parfois avec une précision presque intimidante. Les dix-sept particules de particules élémentaires qui composent la réalité selon le Modèle Standard, pour autant qu'elles n'étaient pas encore connues, ont été découvertes les unes après les autres au cours des vingt années qui ont suivi la formulation du Modèle Standard.
Sauf le boson de Higgs. Cette particule remplit un rôle particulier. Lui est associé un champ qui remplit tout l'espace et donne de la masse aux particules qui y sont sensibles. Trois scientifiques, dont le Belge Englert, avaient théoriquement prédit son existence dès 1964. Le LHC, un accélérateur de particules en forme d'anneau de 27 km, situé en partie en Suisse, en partie en France, a été construit principalement pour capturer cette particule tant attendue mais insaisissable. Le CERN à Genève est entré dans l'histoire lorsque le boson de Higgs a été découvert en 2012. François Englert et Peter Higgs ont reçu un prix Nobel en 2013 (le troisième, Robert Brout, est malheureusement décédé en 2011).
Mais pour étudier plus en détail le boson de Higgs, le Conseil du CERN veut générer des énergies encore plus élevées. D'où le projet de construction d'un anneau de 100 km, dans lequel devrait venir un accélérateur électron-positon, l'« usine Higgs ». Vous n'auriez alors pas à rechercher une particule de Higgs pendant des années, mais vous seriez capable de les produire et de les étudier en continu. La construction pourrait commencer en 2038, alors que la mise à niveau du LHC actuel vers le LHC à haute luminosité est en cours depuis une dizaine d'années.
Dans une deuxième phase, il y aurait alors un accélérateur proton-proton pour générer des énergies encore plus élevées. Il devrait générer des énergies de collision de 100 téraélectronvolts (TeV), comparables aux 16 TeV actuels du LHC. Avec cela, nous devrions trouver au moins de nouvelles particules, résultant en une extension du modèle standard. Et qui sait, nous pourrions même tomber sur une couche de réalité encore plus profonde, aboutissant à une physique vraiment nouvelle.
L'ambition et l'enthousiasme l'emportent donc. La directrice du CERN, Fabiola Gianotti, s'est réjouie du vote favorable du Conseil :"Je pense que c'est un jour historique pour le CERN et la physique des particules".
Avant que cela ne se produise, cependant, il reste encore beaucoup à clarifier en termes scientifiques, techniques et financiers. L'approbation actuelle ne s'applique également qu'à la poursuite de l'élaboration du plan, la décision finale sur la construction du nouvel accélérateur n'a pas encore été prise. Le prix estimé à 21 milliards d'euros fera évoluer le CERN européen encore plus vers une institution de recherche mondiale.
Mais tous les scientifiques ne partagent pas les acclamations du Conseil du CERN. La physicienne théoricienne allemande Sabine Hossenfelder, qui ose souvent aller à contre-courant, pose une note critique sérieuse sur les plans mégalomanes du CERN. Cela a tout à voir avec l'attente non réalisée que le LHC découvrirait bien plus que le boson de Higgs.
Le modèle standard est la meilleure théorie de la réalité que l'homme ait jamais conçue, mais il ne sait pas comment gérer l'énergie noire et la matière noire dans l'univers et n'intègre pas la quatrième force de la nature, la gravité. Après beaucoup de travail, les théoriciens avaient trouvé une solution merveilleuse :la supersymétrie. Chaque particule aurait un superpartenaire, détectable par le LHC. Mais le LHC n'a rien trouvé du tout.
Ne devrions-nous pas d'abord examiner attentivement pourquoi la machine scientifique est au point mort, avant de dépenser des sommes faramineuses pour creuser au hasard des couches plus profondes de la réalité ?