Voici l’histoire de trois femmes qui ont rebâti leur identité sexuelle et l’intimité dont elles avaient besoin, après avoir vaincu le cancer du sein.
Il y a neuf ans, Maria*, alors âgée de 46 ans, a reçu un diagnostique de cancer du sein. Cette résidente de Thunder Bay en Ontario est devenue ainsi l’une des milliers de femmes qui, chaque année, vivent cette expérience. L’an dernier, elles étaient 23 000 au Canada seulement. En moins de 18 mois, elle a subi une chirurgie mammaire conservatrice, une chimiothérapie, une mastectomie double et une hystérectomie totale.
Après sa victoire sur la maladie et un retour à la vie normale, elle a voulu remettre sa vie sexuelle à l’ordre du jour, comme le font de nombreuses survivantes du cancer du sein. Les interventions chirurgicales, la chimiothérapie, les effets de la radiation et des médicaments peuvent annihiler l’estime de soi, la libido et le plaisir sexuel, mais ne peuvent faire disparaître complètement le souvenir des bonnes expériences sexuelles et de l’intimité partagées avec son partenaire. Cependant, reconstruire cette intimité après un cancer du sein peut s’avérer décourageant pour certaines femmes.
D’après une recherche publiée l’automne dernier dans le Journal of Sexual Medicine, 70% des femmes qui ont un diagnostique de cancer du sein rencontrent des problèmes sexuels deux ans après cette annonce. L’auteure principale du rapport, Mary Panjari, de l’Université Monash en Australie, affirme que 83% des 1011 participantes à la recherche, des femmes de moins de 70 ans et ayant un partenaire, ont déclaré avoir eu une vie sexuelle satisfaisante avant leur cancer mais ont remarqué une chute importante de l’intérêt pour la sexualité après les traitements.
Gina Maisano, qui a gagné à deux reprises sa bataille contre le cancer du sein, écrit dans son livre L’intimité après le cancer du sein, que peu de médecins s’intéressent à cette situation. «Ils pensent avoir fait leur travail et parce qu’ils nous ont sauvé la vie, ils croient que nous devrions être heureuses. Mais vous voulez vivre pleinement et non seulement à la moitié de vos capacités. Vous voulez une vie pleine, qui comprend aussi le plaisir sexuel.»
Cette résidente de Long Island dans l’État de New-York, explique qu’une des difficultés consiste à aider son partenaire à s’adapter lorsqu’on est prêt à reprendre sa vie sexuelle. S’il était un aidant qui a pris soin de vous au cours de votre maladie, il doit réapprendre à devenir votre amoureux. Et en transformant une relation où vous dépendez de lui en une autre ou vous le désirez, vous pouvez y gagner au change. «Si vous lui faites part de votre désir, il redécouvrira l’attirance sexuelle. Vous lui dites que cette partie de votre vie n’est pas terminée. Vous pouvez ainsi recréer une relation bonifiée avec celui qui vous accompagne depuis des années.»
Maria devient nostalgique lorsqu’elle parle de sa vie intime antérieure à la maladie. Mariée en 2000 et heureuse, elle a eu deux enfants avec un conjoint dynamique, adepte de chasse et de pêche. Le verdict est tombé à 37 ans. Après une double mastectomie, des examens génétiques indiquent qu’elle est porteuse du gène BRCA1, ce qui signie un risque plus élevé de cancer du sein, des ovaires et d’autres formes de cancer. C’est pourquoi elle opte pour une hystérectomie totale. En plus des importants changements à son corps, sa vie sexuelle change du tout au tout. Avant l’hystérectomie, elle avait une libido normale. Après l’intervention, toute sa libido s’est envolée et elle n’éprouvait plus le même plaisir qu’auparavant à faire l’amour avec son mari. Le couple avait une relation sexuelle hebdomadaire et après les traitements, cette fréquence est passée à une relation aux trois mois.
Elle se moque de la situation, mais la mélancolie qui flotte est difficile à ignorer. «Je faisais des blagues, prétendant que j’étais une femme, mais que je me sentais différente. En manque d’œstrogène, je ne sentais plus la passion et cela me manquait.»
Après la mastectomie, Maria a reçu une reconstitution mammaire mais elle a perdu sa sensibilité des mamelons, un plaisir qu’elle appréciait particulièrement. Gina Maisano affirme qu’il est toujours possible de conserver des sensations dans la région mammaire. «Après l’opération, les sensations que vous aviez sont déplacées plus haut dans vos seins. Si vous touchez votre aréole, vous n’aurez probablement aucune sensation, mais si vous montez vers le cou, la sensation devient plus intense. Tout se passe comme si les nerfs compensaient le manque de sensation dans la région du mamelon.»
Pendant les moments de passion qu’elle ressentait, elle trouvait difficile de se motiver à faire l’amour. Elle se trouvait chanceuse d’avoir un mari compréhensif. «Je lui ai expliquée que c’est ce que j’étais devenue et que tout cela était hors de mon contrôle.»
Pour écrire son livre, Gina Maisano a parlé à plusieurs femmes qui ont perdu leur appétit sexuel. «Le désir est plus faible, mais il n’est pas disparu. L’organe sexuel le plus important demeure le cerveau. Vous devez créer un bon état d’esprit et c’est là que l’aide de votre partenaire devient important. En insistant sur le romantisme et les préliminaires, le désir augmentera.»
Maria et son époux ont eu peu de succès avec des jeux sexuels et des lubrifiants. Elle s’est alors tournée vers un médecin qu’on lui a recommandé et qui se spécialise pour aider les femmes à retrouver une vie sexuelle normale après le cancer du sein. «Il y a deux mois, nous nous sommes entendus pour avoir une relation sexuelle par semaine. Nous l’avons fait deux fois depuis. C’était déjà une amélioration parce que l’année précédente, c’était aux six mois.»
Laura* a 33 ans et réside à Saskatoon. Elle était sur le point de se marier lorsqu’on lui a diagnostiqué le cancer du sein à l’âge de 28 ans. Elle a subi une chimiothérapie, une mastectomie simple, une radiation du sein gauche et deux ans plus tard, une reconstitution mammaire. Après avoir pris des médicaments endocriniens, elle a vécu un épisode de ménopause qui a provoqué un assèchement vaginal. Les antidépresseurs prescrits par son médecin qui avait diagnostiqué une dépression après le traitement du cancer, ont fini par tuer son appétit sexuel. Laura a connu son dernier orgasme avant le diagnostique de cancer.
De nombreuses femmes expliquent que certains traitements provoquent une ménopause précoce qui nuit grandement aux rapports intimes. «La chimiothérapie et la radiothérapie accélèrent l’arrivée de la ménopause chez les femmes qui sont à la pré ou à la périménopause. Après le premier traitement, les femmes dont les récepteurs d’œstrogène sont positifs utilisent des médicaments endocriniens pendant des périodes pouvant aller jusqu’à cinq ans. Ces médicaments contrent les effets de l’œstrogène et provoquent l’arrivée de la ménopause, l’assèchement vaginal, des sueurs nocturnes et de l’insomnie qui perturbent la fonction sexuelle.», explique Mary Panjari.
Maureen McGrath, infirmière diplômée de Vancouver et spécialisée en santé sexuelle féminine, explique que «l’atrophie vaginale cause des démangeaisons, des sensations de brûlure et d’irritation, l’assèchement vaginal et des écoulements légers après une relation sexuelle. Cette situation peut causer un rétrécissement de l’ouverture vaginale ou encore amincir ou fragiliser les parois du vagin et provoquer l’inflammation des parois, ce qui rend la relation douloureuse et inhibe le plaisir.»
Pour y remédier, Maureen McGrath recommande une combinaison de trois traitements: un dilatateur vaginal qui contribue à agrandir lentement l’ouverture, un médicament à faible pourcentage d’œstrogène et un humidifiant vaginal. Elle suggère le Vagifem10 mcg, un nouveau comprimé d’œstrogène vaginal, une dose assez faible mais efficace. Elle conseille toutefois aux femmes de parler avec leur médecin avant de l’utiliser.
Laura et son conjoint s’adonnent aux relations buccogénitales depuis qu’elle suit ses traitements. Mais ils espèrent que lorsqu’elle pourra cesser ses injections de Lupron qui réduisent la production d’œstrogène, ils pourront recommencer à avoir des relations sexuelles complètes afin d’avoir des enfants.
C’est Laura qui prend l’initiative des relations sexuelles. Son conjoint lui a fait savoir qu’il est toujours intéressé, mais il lui laisse prendre la décision. Pour rétablir le cours normal des choses, elle consulte un psychiatre spécialisé dans les questions sexuelles et elle a cessé de prendre les antidépresseurs. Avec son conjoint, elle s’adonne à des caresses sexuelles connues sous le nom de Sensate Focus. «Pour débuter, vous caressez votre partenaire sur tout le corps à l’exception des parties génitales; puis caressez les organes génitaux mais de façon non sexuelle et passez ensuite aux caresses plus intenses. L’exercice se termine avec la femme au-dessus de l’homme, les organes génitaux se touchent puis il y a pénétration et relation complète. C’est une activité conduite totalement par la femme.
Les choses changent lentement, explique-t-elle. «Au cours des derniers mois, nous sommes allés au lit et une fois endormis, l’un des deux touche l’autre. Tout devient chaud et intense.»
Âgée de 55 ans, Anna* réside en Colombie-Britannique, à Shuswap valley dans l’Okanagan. La perte d’un sein après un diagnostique de cancer a été pour elle un tel traumatisme qu’elle ne s’est pas montrée nue devant son mari pendant les trois années qui ont suivi le traitement et ce, en dépit d’une reconstitution mammaire. «Nous faisions l’amour dans l’obscurité totale. Je ne lui ai jamais montré mes cicatrices ou mon crâne chauve; je me montrais uniquement avec les lèvres maquillées, mes dentelles et mes talons hauts. Je voulais lui laisser l’image de ce que j’avais été.» Jusque-là, ils avaient eu une vie sexuelle très satisfaisante.
Malgré ses appréhensions quant à son apparence, le sexe demeurait très important pour elle. «Parfois, je n’avais pas d’orgasme, mais j’avais besoin de me sentir proche de mon mari.»
Même si un changement d’apparence a généralement peu d’influence sur les sentiments d’un homme envers sa compagne, la perte d’un sein ou des deux peut avoir des conséquences catastrophiques pour l’estime de soi d’une femme. C’était le cas pour Anna. Au cours de sa recherche, Mary Panjari a interrogé les femmes pour savoir si elles pensaient que leur partenaire agissait autrement à cause de leur apparence. Elles ont répondu: non. Mais elles-mêmes se sentaient différentes.
Gina Maisano conseille à la blague de se familiariser avec le mouvement New Girls si vous envisagez une reconstitution mammaire. «Il y a comme un court-circuit entre les nouveaux seins et votre corps. Vous avez l’impression de les avoir achetés et fait installer en place. En essayant de ne plus vous concentrer sur vos nouveaux seins et en prenant soin de l’ensemble de votre corps, vous commencerez à les accepter comme faisant partie de vous-même et vous augmenterez votre confiance en vous. Vous commencerez à avoir l’air et à vous sentir totalement bien.»
Il faut aussi comprendre qu’un homme pourra avoir de la difficulté à savoir comment réagir à la vue de votre nouvelle apparence. Gina Maisano dit que «si vous êtes préoccupée de sa façon de réagir, il va s’en rendre compte; il sera inquiet de ce que son expression faciale pourra exprimer. Commencez par en parler. Ne faites pas de vos seins le centre de l’expérience sexuelle, parce qu’ils ne le sont pas de toute façon. Le sexe concerne l’ensemble du corps.»
Anna s’est finalement montrée toute nue à son mari. «Il a été totalement réceptif. J’ai compris à ce moment-là que le problème ne venait pas de lui, mais bien de moi. Je n’ai jamais été aussi libre que cette nuit-là.»
Mais elle savait tout de même qu’il restait du travail à faire. Un jour, en discutant avec un médecin à propos de son manque d’appétit sexuel, elle a reçu un avertissement. «Elle m’a prévenu que la perte d’intimité dans un mariage pouvait être irréversible. Et je me suis dit: ça ne m’arrivera pas.»
Elle s’est rendue dans une boutique érotique pour acheter un vibrateur et a commencé à faire des lectures pour améliorer sa vie sexuelle. À tous les deux jours, elle applique un humidifiant vaginal: pour empêcher la situation de se détériorer.
Tous ces efforts ont fini par rapporter. «Ce n’est plus exactement comme auparavant, mais j’ai des orgasmes et nous sommes proches l’un de l’autre. Je crois que j’ai réussi. Et je recommande aux autres femmes qui sont dans la même situation de ne jamais abandonner.», explique Anna
*Noms fictifs