Le gaslighting (ou détournement cognitif) est une forme d’abus mental qui peut se produire entre partenaires amoureux, mais aussi dans les relations familiales, les amitiés et même au bureau entre collègues.
LAFLOR/GETTY IMAGES
C’est en quelque sorte un lavage de cerveau psychologique. Le gaslighting (ou détournement cognitif) est un genre d’abus émotif ou mental, provoqué par quelqu’un qui utilise des tactiques de manipulation et de distraction pour déformer la vérité. Obligeant ainsi sa victime à remettre en question sa propre réalité.
Bien qu’il ne soit pas facilement détectable comparé à d’autres types d’abus, le détournement cognitif peut être tout aussi dommageable, déclare Robin Stern, psychanalyste, chercheuse associée au Child Study Center à Yale et auteure de The Gaslight Effect: How to Spot and Survive the Hidden Manipulation Others Use to Control Your Life. «Lorsqu’un être cher annihile votre sens de la réalité, vous vous retrouvez pris au piège dans un monde imaginaire où vous vous sentez mal, inadéquat et fou tout le temps», dit-elle.
Mentir à quelqu’un sur ce qui est vraiment en train de se passer est blessant à court terme. «Se demander pourquoi quelqu’un que vous aimez essaie de vous mentir peut faire en sorte que vous remettiez la relation et vous-même en question», explique Robin Stern.
Mais le détournement cognitif peut avoir de terribles conséquences à long terme en détruisant l’estime de soi et la confiance de la victime, soit en la piégeant dans une relation dysfonctionnelle ou en faisant éclater la relation.
Il peut également y avoir des conséquences plus étendues. Avec le temps, la victime de détournement cognitif devient conditionnée à se fier davantage aux perceptions des autres qu’aux siennes, ce qui entraîne un sentiment d’impuissance, une sensation de cerveau embrouillé, une incapacité à prendre des décisions, des problèmes de mémoire, un trouble de stress post-traumatique, de la dépression et de l’anxiété. Et ces conséquences peuvent perdurer même si la personne met fin à la relation, selon Robin Stern.
N’hésitez pas à suivre ces conseils pour comprendre et gérer l’anxiété et le trouble panique.
Les abuseurs ne commencent généralement pas à plein régime, sinon leur victime les quitterait immédiatement. Ils commencent plutôt lentement, ce qui ajoute au sentiment de confusion et à l’irréalité que vit la victime, explique Stephanie Sarkis, Ph.D., psychothérapeute et auteure de Gaslighting: Recognize Manipulative and Emotionally Abusive People—and Break Free. En fait, les exemples de détournement cognitif commencent souvent comme une histoire d’amour de conte de fées.
«Les abuseurs qui ont recours au détournement cognitif vont vous “bombarder d’amour”, d’affection, d’attention et de cadeaux de façon à prendre le contrôle et à faire en sorte que vous leur fassiez confiance, explique Stephanie Sarkis. Une fois que vous les aimez, ils vont commencer petit à petit à vous isoler et à vous critiquer.» Un drapeau rouge va se lever dès le premier rendez-vous: l’abuseur pose beaucoup de questions personnelles, met de la pression pour avoir des relations sexuelles rapidement et donne des tas de cadeaux ou fait beaucoup de déclarations d’amour, ajoute-t-elle.
Une fois dans la relation, selon Robin Stern, une victime traversera trois phases importantes durant le processus de détournement cognitif:
L’incrédulité. Les premières fois où quelqu’un essaie de déformer votre réalité, vous ne le croirez probablement pas et lui direz qu’il fait erreur ou qu’il a mal saisi la situation.
La défense. Plus quelqu’un vous fait douter de vous-même, plus vous commencez à vous questionner à savoir s’il a raison, mais vous essayez encore de vous défendre. Vous tenterez de réfuter ses dires par la logique ou de discuter avec lui, mais vous essaierez d’«être juste» et de voir aussi les choses de son point de vue.
La dépression. Après un certain temps, vous le croyez, particulièrement si ses critiques sont à l’origine d’une peur que vous avez. Plus l’abuseur vous insécurise et conteste votre réalité, plus vous croirez ses explications. Avec le temps, vous arrivez à un point où votre confiance en vous-même est détruite et vous ne vous faites plus confiance.
L’objectif ultime de l’abuseur qui a recours au détournement cognitif est de vous faire tellement douter de vous que vous devenez totalement dépendant de lui, ce qui lui permet de vous contrôler, explique Robin Stern.
En raison de son caractère trompeur, le détournement cognitif peut être vraiment difficile à identifier, particulièrement lorsque vous en êtes la cible, selon Stephanie Sarkis. «C’est une sorte de lavage de cerveau et de contrôle coercitif. Ça peut être si subtil que vous pouvez même ne pas vous rendre compte de ce qui se passe, déclare-t-elle. Le détournement cognitif vise entre autres à habituer la victime à ne pas le mettre en doute; ça repose donc sur vous qui croyez que vos expériences et vos sentiments sont inexacts.»
Le phénomène de détournement cognitif a probablement toujours existé, mais le terme anglais gaslighting n’a été reconnu qu’à la sortie de Gaslight au cinéma en 1944. Dans ce film, un mari convainc sa femme qu’elle est en train de devenir folle afin de dissimuler un meurtre et de voler des bijoux. Il manipule subtilement les choses dans son environnement, notamment en modifiant l’intensité des lampes à gaz, puis nie la réalité en lui faisant éventuellement croire qu’elle a un problème de santé mentale et qu’elle ne devrait pas sortir de chez elle, Cet exemple de détournement cognitif a résonné auprès de nombreux spectateurs, et le terme possède aujourd’hui un sens plus large, explique Stephanie Sarkis.
«Les parents annihilent la réalité de leurs enfants de façons très innocentes, habituellement pour les amener à obéir, mais les conséquences sont très dommageables», raconte Robin Stern. Elle cite le cas d’un père et de son jeune garçon qu’elle avait vus jouer dans un parc. Le père a dit à son fils de ne pas courir, mais l’enfant a tout de même couru, a trébuché et s’est fait mal. Au lieu de le réconforter, le père lui a crié «Qu’est-ce que tu as fait là? Regarde le gâchis que tu as causé!» comme si l’enfant l’avait fait exprès.
«Le problème ne vient pas du fait que le garçon a désobéi et s’est blessé, mais plutôt du fait que le père lui fasse sentir que ses sentiments face à sa blessure sont mauvais et qu’il invalide son expérience, explique-t-elle. Au lieu d’en tirer une leçon sur la prudence, l’enfant a appris qu’il y avait en lui quelque chose d’intrinsèquement mauvais.»
Certains abuseurs croient qu’ils manipulent leur victime parce qu’ils l’aiment et «veulent seulement son bien», assumant qu’ils savent plus que la personne elle-même ce qui est le mieux pour elle, selon Stephanie Sarkis.
Par exemple, une femme avait postulé pour un emploi qu’elle convoitait et était excitée de se rendre aussi loin dans le processus d’embauche lorsque la compagnie a soudainement arrêté de la rappeler. Son mari lui a dit qu’elle n’était pas faite pour ce travail, qu’elle n’était pas assez bonne pour l’occuper et qu’elle n’avait probablement pas été convaincante en entrevue.
Quelques semaines plus tard, elle a finalement demandé au responsable de l’embauche pourquoi on avait rejeté sa candidature si abruptement, seulement pour se faire répondre que son mari avait appelé et leur avait dit qu’elle n’était plus intéressée par le poste et de ne plus considérer sa candidature. Lorsqu’elle a confronté son mari, il lui a dit que c’était pour son bien, qu’il savait qu’elle serait plus heureuse sans ce travail et en restant à la maison.
«La victime doit alors choisir si elle croit que son partenaire amoureux sait vraiment ce dont elle a besoin plus qu’elle ne le sait elle-même, déclare Stephanie Sarkis. Éventuellement, elle peut arrêter d’essayer de prendre ses propres décisions, laissant ainsi son partenaire la contrôler.»
Photoroyalty/Shutterstock
Une des raisons les plus courantes du détournement cognitif est qu’en déformant la réalité, l’abuseur peut rendre la victime responsable des problèmes au lieu d’assumer son propre comportement fautif, explique Robin Stern. «Nous voyons souvent cela dans les cas d’infidélité, par exemple lorsqu’un homme dit à sa femme qu’elle est ‘ trop sensible‘ ou qu’elle est ‘simplement jalouse’ lorsqu’elle l’interroge sur une relation ambiguë qu’il entretient avec une collègue. Et si elle le surprend en train de la tromper, il pourra répondre qu’il n’avait pas le choix puisqu’elle est trop frigide et ne lui donne pas assez de sexe.»
Puis, au lieu de parler de son désinvestissement émotionnel dans leur mariage ou du fait qu’il a une aventure avec une autre femme, la dispute déviera soudainement sur les lacunes personnelles de sa femme. «C’est une façon de l’amener à se blâmer elle et non lui», conclut Robin Stern.
Isoler la victime de ses amis et de sa famille caractérise tous les types d’abus familiaux, et le détournement cognitif est une façon d’y parvenir, selon Stephanie Sarkis. Comme les proches d’une victime sont ceux qui pourraient la ramener à la réalité en démontrant que l’abuseur a tort, celui-ci essaiera de les séparer en déformant la vérité.
Elle cite l’exemple d’un jeune homme qui avait défendu à sa petite amie de faire des sorties de filles en prétextant que ses amies le détestaient et qu’elles parlaient en mal d’elle dans son dos. Il est allé aussi loin que prendre son cellulaire et supprimer les textos et les appels de ses amies comme «preuve» qu’elles ne s’en souciaient pas vraiment et qu’il était le seul à l’aimer véritablement. «Les abuseurs ne veulent pas seulement être la relation principale dans votre vie, ils veulent être la seule relation dans votre vie», déclare-t-elle, ajoutant que c’est souvent un double standard puisqu’ils conserveront de leur côté de nombreuses amitiés extérieures à la relation.
Le traitement du silence ou les excès de rage (ou une alternance entre les deux) sont les deux principales manières employées par les abuseurs pour punir leurs victimes et reprendre le contrôle sur elles, au dire de Stephanie Sarkis.
Par exemple, une femme raconte qu’elle était allée en vacances au Mexique avec sa famille mais que le premier soir son mari et elle s’étaient disputés à propos de l’endroit où leur bébé allait dormir. Son mari était tellement en colère qu’il est sorti de la chambre d’hôtel et n’est pas revenu de la nuit. À son retour le lendemain matin, il a agi normalement avec les enfants tout en faisant comme si elle n’existait pas, refusant de lui parler ou même d’en faire de cas. Il lui a fait subir ce traitement toute la semaine. Finalement, elle voulait tellement qu’il mette fin à son silence qu’elle s’est excusée pour tout ce qu’elle pensait avoir pu faire de mal, le suppliant de lui pardonner.
«Le traitement du silence est le détournement cognitif ultime car il rejette la réalité de l’autre, son humanité», conclut la psychothérapeute.
Certaines personnes utilisent le détournement cognitif parce que c’est comme ça qu’elles ont été élevées et qu’elles continuent d’avoir recours à cet outil dysfonctionnel pour satisfaire leurs besoins dans une relation. Mais chez beaucoup d’abuseurs, manipuler et blesser les autres est intentionnel car ça leur fait vivre un moment exaltant et leur apporte du plaisir, explique Stephanie Sarkis. Cela peut se manifester de différentes façons, mais un exemple typique de détournement cognitif est celui d’une profonde amitié où une personne requiert un flot constant d’amour, de cadeaux, d’adoration et d’attention et où elle amènera son «meilleur ami» à lui procurer toutes ces choses par le biais du détournement cognitif.
Un homme raconte que son meilleur ami d’enfance le dépréciait souvent en lui disant qu’il était nul dans tout ce qu’il entreprenait, qu’il était laid et qu’il n’avait pas d’habiletés sociales. «J’ai réalisé après mon passage au collège que rien de ça n’était vrai, mais qu’il voulait me faire croire que ce l’était pour que je continue d’être son meilleur ami, explique-t-il. Il était en fait jaloux de moi pour bien des aspects et me rabaissait pour se sentir mieux lui-même.»
«Les abuseurs qui utilisent le détournement cognitif sont souvent narcissiques et ont constamment besoin d’attention. Pourtant, même si vous vous consacrez corps et âme à les aimer et à vous en occuper, ça ne sera jamais assez. Ils vous feront sentir comme si vous n’étiez jamais assez bien pour eux», dit Stephanie Sarkis.
Être capable de le reconnaître lorsque ça se produit est la première étape pour mettre un terme au détournement cognitif, précise Robin Stern. Vous arriverez peut-être à le constater par vous-même, mais beaucoup de victimes de détournement cognitif ont besoin de l’aide de leur famille, de leurs amis ou d’un thérapeute pour démêler tous les mensonges et les souvenirs déformés, selon elle.
«Je dis aux gens de se concentrer sur “comment” ils se sentent pendant une discussion plutôt que sur ce qui est “approprié”, explique-t-elle. C’est correct de dire ‘’ça m’est égal qui a raison ou qui a tort, mais la façon dont tu me parles est agressive et abusive, et je ne poursuivrai pas cette discussion”.»
Malheureusement, beaucoup d’abuseurs ne réagissent pas bien au fait que leurs victimes lui tiennent tête puisque ça leur enlève la capacité de les contrôler, explique Stephanie Sarkis. «Souvent, la seule façon de faire cesser le détournement cognitif est de mettre fin à la relation.»
Une fois que votre décision de partir est prise, vous devez le faire très prudemment car il peut arriver que le détournement cognitif escalade en violence physique, selon Stephanie Sarkis. «Parlez-en à vos proches ou à un thérapeute et préparez un plan afin de pouvoir partir en toute sécurité, explique-t-elle. Après votre départ, vous devez éviter tout contact avec l’abuseur car il va tenter de vous récupérer à force de promesses et de cadeaux.»
Inscrivez-vous à notre infolettre pour recevoir de l’information fiable sur la santé!