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Le chemin de la course

Comment le vélo est passé du statut de véhicule d'élite à celui de cheval du pauvre. Et retour.

Le premier prototype de bicyclette date de 1817. La draisienne de l'inventeur allemand Karl von Drais se composait d'une poutre en bois reliant deux roues blindées et un guidon. Les trappeurs n'ont pas cette draisienne :vous avancez en poussant vos pieds du sol.

Le premier vélocipède en bois fait appel à l'imagination :on peut se déplacer sans poser les pieds par terre

L'invention de von Drais suscite la curiosité, également en Belgique :en 1819, la bicyclette y est identifiée pour la première fois. Un groupe restreint de riches excentriques s'aventurent dans ce nouveau mode de transport. Mais son succès fut de courte durée :à la fin des années 1820 la draisienne disparut largement des projecteurs, car trop encombrante et difficile à maîtriser.

Ce n'est que dans les années 1860 que le vélo refait surface. En 1862, le forgeron français Pierre Michaux produit les premiers vélocipèdes en bois avec des pédales montées sur la roue avant. Cela fait appel à l'imagination :vous pouvez désormais vous déplacer sans poser les pieds par terre ! Paris est la première tempête pour le vélo. La première grande course cycliste, entre Paris et Rouen en 1869, devait illustrer les avantages du nouveau dispositif. Parallèlement, les premiers clubs cyclistes voient le jour à Bruxelles et à Gand.

Le chemin de la course

Le cyclisme s'installe définitivement. Cependant, le vélocipède présente également des inconvénients non négligeables :avec un poids pouvant atteindre une cinquantaine de kilos, un prix de revient élevé et une expérience de conduite inconfortable – ce type de vélo s'appelle un boneshaker – la diffusion du vélocipède reste limitée.

Ce n'est pas différent avec l'arrivée du « high bi » en 1870. Le britannique James Starley fabriqua une bicyclette en fer, équipée de pneus pleins en caoutchouc, avec une roue avant excessivement grande – jusqu'à un mètre et demi de diamètre – et une minuscule roue arrière. Grâce à la grande roue avant sur laquelle les pédales sont montées, vous pouvez courir plus vite que jamais. Mais c'est facile :monter sur le vélo n'est pas pour tout le monde, et faire du high bi n'est pas une mince affaire. De plus, selon un contemporain, il faut des "muscles d'acier" pour garder le colosse sous contrôle. Et même dans ce cas, des chutes spectaculaires sont inévitables.

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Comme dans les années 1860, ce sont surtout de jeunes aventuriers issus des classes sociales supérieures qui rampent sur le high bi. De cette façon, ils peuvent afficher leur force et leur agilité, mais aussi leur statut social. Car le haut bi reste très cher. Le posséder est un signe de bien-être financier.

Les jeunes cyclistes aiment les compétitions :avec sa vitesse améliorée, le high bi assure le premier véritable épanouissement du cyclisme. Dans les compétitions, les aventuriers montrent leur force et leur agilité.

Les premiers cyclotouristes

La domination du high bi dure jusqu'à la fin des années 1880. Entre-temps, un nouveau type de vélo est en cours de développement, qui va radicalement changer la technologie du vélo. Dès 1876, des bicyclettes avec des roues de taille similaire avaient été fabriquées en Grande-Bretagne.

On les appelait sécurités parce qu'ils présentaient moins de risques de chutes que les high bi. Grâce à l'introduction de la chaîne, il n'était plus nécessaire de monter les pédales directement sur la roue avant.

Le nouveau vélo devient de plus en plus populaire. Grâce à d'autres innovations telles que l'introduction de freins, le pneu pneumatique en caoutchouc (1888) et la roue libre (1894), qui maintiennent les roues en rotation lorsque vous arrêtez de pédaler, le high bi disparaît de la vue. Plus rapide, moins cher et plus agile qu'auparavant, la sécurité est à la base du vélo que nous connaissons aujourd'hui.

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Dans les années 1890 s'ensuit un véritable engouement pour le vélo. Pour la première fois, le grand public s'intéresse également au vélo, ce qui se traduit par une augmentation spectaculaire des ventes. La sécurité est encore très chère, mais ce ne sont pas seulement les hommes plus jeunes qui l'achètent maintenant. Les femmes aussi font de plus en plus de vélo :pour elles, le vélo est un moyen d'échapper à la morale rigide et au contrôle social du XIXe siècle. Et cela représente un accès auparavant inimaginable à l'exercice récréatif.

La sécurité est accueillie comme un miracle technique et social. Pour l'écrivain français Maurice Leblanc (1898), par exemple, c'est une paire d'ailes qui permet à son cavalier de jouir d'une liberté et d'une dextérité sans précédent. Chaque semaine, d'innombrables cyclistes partent en balade à vélo pour découvrir la campagne en toute liberté :le cyclotourisme de masse est né.

Pas pour les prêtres

Afin de répondre aux exigences de toute une génération d'adultes qui se familiarisent pour la première fois avec le vélo, des écoles pour "cyclistes" sont même créées dans des villes comme Gand ou Louvain, où l'on enseigne l'utilisation "correcte" du vélo . Les cyclistes de la classe moyenne veulent se distinguer des classes inférieures en faisant du vélo de manière contrôlée et ordonnée. S'asseoir le dos droit sur la selle en est la caractéristique la plus frappante. La technologie du vélo redevient ainsi un symbole de statut social.

Malgré sa popularité, la méfiance à l'égard du vélo demeure. Les médecins s'interrogent sur les effets du vélo sur le corps humain et les diocèses catholiques interdisent aux prêtres de faire du vélo au motif que le vélo porterait atteinte à leur dignité. L'acceptation du vélo ne se fait donc pas sans heurts.

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Un vélo cher était un symbole de statut, et vous pourriez montrer votre agilité et votre force avec elle

L'impact de la sécurité sur le cyclisme est frappant. Stimulé par les nouvelles possibilités techniques du vélo, le cyclisme professionnel prend enfin son envol. Les courses sur les vélodromes ou pistes cyclables gagnent rapidement en popularité.

Des compétitions sont organisées sur des vélos sans roue libre ni freins, qui visent principalement à mettre en évidence la vitesse à laquelle les personnes à vélo avancent. En 1895, ils poussent les projets un peu plus loin :des courses sur piste dans lesquelles les cyclistes roulent derrière des motos et atteignent des vitesses allant jusqu'à 50 km/h. C'est un représentant de la course à la vitesse qui caractérise la culture de la Belle Epoque (1890-1914). Les courses sur route ont également du succès :les premières éditions de classiques comme Liège-Bastogne-Liège (1891) ont lieu.

Le cyclisme est fortement encouragé par les fabricants de vélos. Après tout, la performance des cyclistes est la vitrine idéale de leurs produits. Lorsqu'Odile Defraeye devient la première Belge à remporter le Tour de France en 1912, son sponsor français Alcyon lance une campagne publicitaire dans laquelle la victoire de Defraeye est considérée comme la preuve ultime de la supériorité de ses vélos.

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Vélo, sport et masse

Vers 1900, on constate un net changement dans la signification sociale du vélo. Les hommes de la classe moyenne qui constituaient l'essentiel du corps cycliste dans les années 1890 sont désormais remplacés par des personnalités issues des classes sociales inférieures. Presque tous les héros cyclistes flamands de cette période, comme Cyrille Van Hauwaert, vainqueur de Paris-Roubaix en 1907, sont d'origine paysanne ou ouvrière.

Que ce soit clair :la démocratisation générale du vélo est un fait. De jouet pour la bourgeoisie, il devient un moyen de transport pour les masses, indispensable dans les déplacements quotidiens de nombreux travailleurs. Jusque tard dans les années 1950, le vélo était pour beaucoup « la voiture des moins nantis ». Le fait que des héros cyclistes ultérieurs tels que Gaston Rebry ou 'Briek' Schotte courent leurs premières courses sur des vélos ordinaires ou empruntés pendant l'entre-deux-guerres parce qu'ils n'ont pas d'argent pour un modèle de course, illustre bien cette situation. De nombreux autres jeunes coureurs dépendent également des dons de leurs supporters pour payer leur équipement cycliste pendant cette période.

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De cette période découle l'image des "travailleurs forcés de la route" - un terme que le journaliste français Albert Londres a inventé en 1924 pour les coureurs du Tour de France. Les cyclistes professionnels sont des « ouvriers », qui doivent travailler dur pour gagner. Leur relation avec le vélo, leur principal « outil », y joue un rôle crucial :après tout, c'est lui qui décide de gagner ou de perdre. Courbés sur leur guidon, aux prises avec des crevaisons de pneus et autres défauts qu'ils doivent toujours réparer eux-mêmes, leur allure n'a rien à voir avec l'élégante citadine cycliste du XIXe siècle.

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Pour des organisateurs de courses comme Henri Desgrange (Tour de France) ou le journaliste sportif Karel van Wijnendaele de la Ronde Van Vlaanderen (1913), le cyclisme n'est pas seulement une sensation sportive, mais les simples coureurs doivent aussi devenir des symboles de force et de caractère, et donc leurs partisans issus des classes inférieures servent d'exemples sociaux. Le fait qu'ils doivent également lutter contre la technologie du vélo correspond bien à cette image.

Après 1900, le vélo subit peu de changements technologiques pendant des décennies. Un seul nouveau composant est apparu après la Première Guerre mondiale :le dérailleur, un dispositif qui permet aux cyclistes de changer de vitesse sans démonter leur vélo, comme auparavant. Bien que ce mécanisme ait déjà été adopté par les cyclotouristes dans les années 1920, il est considéré avec suspicion dans le cyclisme. Car cela peut parfois faciliter les compétitions et ainsi nuire à l'image héroïque des coureurs. Ce n'est qu'en 1937 que le Tour a autorisé l'utilisation de dérailleurs, pour les courses belges, il a fallu attendre après la Seconde Guerre mondiale.

Haute technologie

L'après-guerre annonce une nouvelle ère de changement technique. Le dérailleur est largement accepté dans le cyclisme et d'autres composants de vélo évoluent également. Le vélo reçoit un meilleur cadre et des matériaux légers tels que l'aluminium sont introduits. Les fabricants de vélos internationaux tels que l'italien Campagnolo ou le japonais Shimano ont fourni des pièces de vélo de plus en plus performantes. Le vélo de course d'après-guerre devient ainsi un symbole de la professionnalisation et de l'internationalisation du cyclisme.

Le nouveau développement technique aide les commentateurs contemporains à distinguer le cyclisme d'après-guerre de la période précédente, « héroïque », de personnages tels que le « dernier Flandrien » Briek Schotte. Cependant, il y a toujours de la méfiance à l'égard des nouveaux gadgets. Par exemple, le déclin rapide du dieu cycliste de Flandre occidentale Freddy Maertens à la fin des années 1970 est attribué par certains à son utilisation du "douze", un nouveau et grand engrenage rendu possible par de nouveaux types de dérailleur.

Le dérailleur était considéré avec méfiance. Il pourrait nuire à l'image héroïque des cyclistes

Il n'y a pas que le vélo de course qui subit une métamorphose dans les décennies d'après-guerre. Fondamentalement, de nouveaux types de vélos, et avec eux de nouvelles formes de cyclisme, émergent également. Comme le vélo de montagne, qui a été développé aux États-Unis dans les années 1970. Cela permet de sortir des sentiers battus et d'utiliser forêts et champs comme itinéraire, une forme de vélo qui a également du succès en Belgique depuis les années 1990. Le vélo BMX, inspiré du sport motocross, offre également de nouvelles possibilités pour les courses tout-terrain et pour les cascades acrobatiques sur le vélo.

À partir de 1990, les choses vont vite et des révolutions radicales ont lieu dans la technologie du vélo. Un moment important est la victoire de l'Américain Greg LeMond dans le Tour 1989. Dans la dernière étape, un contre-la-montre, LeMond remporte une victoire inattendue sur le leader du classement général Laurent Fignon en utilisant un "guidon de triathlon", ce qui lui permet d'adopter un style plus position aérodynamique.

Les guidons de LeMond suscitent de grandes discussions dans le monde du cyclisme, qui n'est pas habitué à une technologie aussi avancée. C'est le début d'une nouvelle ère. Si les vélos de course d'avant-guerre pouvaient difficilement être comparés à ceux d'après 1945, il en va de même pour les vélos d'après-guerre et ceux d'aujourd'hui. L'utilisation de titane ou de matériaux composites légers comme le carbone dans leur construction et les nombreuses améliorations continues de toutes les pièces confèrent au vélo de course contemporain un look high-tech. La brochure promotionnelle belge Eddy Merckx Cycles pour 2011, par exemple, proclame comment ses ingénieurs se tournent vers la Formule 1 et l'industrie aéronautique pour améliorer leurs vélos. Le vélo est redevenu une technologie de pointe.

Plus que jamais, la technologie du cyclisme joue un rôle dans l'évolution du cyclisme. En même temps, ce développement technique est toujours déterminé par les aspirations et les efforts du monde du cyclisme. Mais le développement de la technologie cycliste n'a pas seulement été important pour le sport stricto sensu. De plus en plus de Flamands voient dans l'image nostalgique du cycliste professionnel penché sur le guidon de son vélo un symbole de l'identité flamande. La technologie est donc également importante pour l'image de soi des groupes de population. La statue du "flandrien" Briek Schotte à Kanegem, qui le représente sur un vieux vélo de course primitif, en est un bon exemple.


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