L’efficacité des antidépresseurs varie grandement d’une personne à l’autre, autrement dit, un traitement qui fonctionne pour une personne peut s’avérer inefficace chez une autre. Ce problème pourrait bientôt être réglé avec l’arrivée d’un traitement personnalisé.
En franchissant la porte du laboratoire du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH), situé au centre-ville de Toronto, j’ai eu l’impression d’entrer dans un laboratoire d’analyse d’ADN futuriste. Des étudiants au postdoctorat, que j’avais déjà rencontrés, me donnent un aperçu du test qui m’attend, me posent des questions sur mon utilisation d’antidépresseurs et me soumettent à un test de dépression pour évaluer mon humeur. Ils prélèveront trois échantillons de sang et j’aurai les résultats de l’analyse au bout de quatre à six semaines. J’espère que cela pourra aider mon psychiatre à me prescrire un antidépresseur efficace contre mon angoisse.
Je prends des antidépresseurs à faible dose depuis que j’ai 30 ans, cela m’aide beaucoup. Journaliste indépendante, rédactrice, mariée et mère de deux enfants, j’ai aujourd’hui 47 ans. Avant de recourir aux antidépresseurs, je n’arrivais pas à occuper un emploi ou à entretenir une relation amoureuse plus de quelques mois. Je n’ai jamais souffert de dépression profonde nécessitant l’hospitalisation, mais combattre mes crises d’angoisse m’épuisait. Dès mon jeune âge, j’étais aux prises avec le trouble obssesionnel compulsif (TOC) et quelques années plus tard on m’a diagnostiqué un «trouble d’anxiété généralisée» qui se manifeste entre autres par un sentiment d’inquiétude constant. Grâce aux médicaments Celexa (citalopram) et Cipralex (escitalopram), je vis beaucoup mieux. Pourtant, une question s’impose: ces antidépresseurs sont-ils le meilleur choix pour moi? C’est ce que je souhaite savoir.
Dans mon cas, l’antidépresseur Cipralex entraîne peu d’effets secondaires et semble en partie efficace (je ne souffre plus de dépression grave, quoique je vis encore de sérieuses crises d’angoisse à l’occasion), je ne m’attends donc pas à ce que les résultats d’analyse transforment ma vie, mais je suis curieuse de savoir si la science pourra confirmer, grâce à l’analyse de mon ADN, que le Cipralex constitue le meilleur médicament pour moi. L’étude, élaborée par Daniel J. Mueller, médecin et directeur du département de recherche clinique en pharmacogénétique du CAMH, représente l’une des solutions visant à offrir un traitement personnalisé. Actuellement, le seul moyen de déterminer l’efficacité des antidépresseurs, c’est de procéder par la méthode d’essais et erreurs. Ce n’est pas encore une étude d’envergure. Jusqu’à présent, on a analysé l’ADN et deux enzymes hépatiques de 80 personnes. Cependant, une autre étude mise sur pied en janvier dernier vise des milliers de participants et analysera aussi des gènes du cerveau, informe James Kennedy, directeur de recherche en neuroscience du CAMH.
Bien que les antidépresseurs viennent au secours d’un grand nombre de personnes, «il n’existe pas, à l’heure actuelle, une variable spécifique fiable qui permet aux médecins de prescrire un traitement approprié», explique Roger S. McIntyre, responsable du département de psychopharmacologie et du comportement à University Health Network, à Toronto. Il n’y a donc aucun moyen de prédire les effets qu’aura un médicament sur une personne sans que celle-ci en fasse d’abord l’essai. Autrement dit, c’est par la méthode, souvent longue et fastidieuse, d’essai et erreurs qu’on y parvient.
Environ 16 % des femmes et 11 % des hommes traversent un épisode de dépression clinique ou profonde au cours de leur vie. Beaucoup d’entre eux ont recours aux antidépresseurs: certains prennent un ou deux types de médicaments pour se soigner, pour d’autres, c’est six, sept, voire huit médicaments différents. Au Canada, il existe 24 types d’antidépresseurs sur le marché dont les plus connus sont Cipralex (escitalopram), Zoloft (sertraline), Paxil (paroxetine), Prozac (fluoxetine) et Effexor (venlafaxine). Certaines personnes ne subissent aucun effet secondaire, peu importe le médicament, alors que d’autres en ressentent plusieurs pour un seul médicament. De plus, un médicament qui s’avère efficace chez une personne peut se révéler inapproprié chez une autre. C’est pourquoi développer un traitement personnalisé représenterait une révolution dans le monde de la médecine.
L’analyse génétique est une première étape vers le traitement personnalisé. L’objectif consiste à prescrire un traitement sur mesure plutôt qu’à fournir un traitement applicable à tous (bien entendu, d’autres facteurs non génétiques jouent un rôle dans la dépression, comme le stress). Dans mon cas, l’analyse vise à mesurer la vitesse de métabolisation d’antidépresseurs pour deux enzymes hépatiques soit le CYP2D6 et le CYP2C19. S’il s’avère que mon organisme prend du temps à éliminer le médicament (métabolisation lente), je subirai alors plus d’effets secondaires. On pourra donc en déduire qu’une dose plus faible du médicament me conviendrait mieux ou que j’ai besoin d’un médicament différent. Si, au contraire, mon organisme élimine rapidement le médicament (métabolisation rapide), cela signifie que mon foie agit trop vite sur le médicament. En conséquence, je ne subirai pas, ou presque pas, d’effets secondaires, mais je ne pourrai pas non plus bénéficier de l’efficacité du médicament.
Une prescription ou un dosage inapproprié a pour effet de prolonger la souffrance des personnes atteintes d’une dépression grave, et si certaines d’entre elles ont des tendances suicidaires, les conséquences peuvent être mortelles. De plus, elles peuvent subir inutilement des effets secondaires comme l’insomnie, la prise de poids, une diminution de la libido et des étourdissements. Ces connaissances sur la métabolisation des médicaments peuvent être d’un grand secours pour certains groupes de personnes. On sait, par exemple, qu’environ 30 % des personnes d’origine africaine ont un taux de métabolisation rapide et qu’environ 50 % des Japonais ont un taux de métabolisation «intermédiaire», le processus de métabolisation de ces derniers est donc quelque peu altéré, mais il est plus près du taux «normal» que celui des groupes à métabolisation rapide ou lente, selon le Dr Mueller, responsable de l’étude (environ 10 % des personnes de race blanche ont un taux de métabolisation lent ou supérieur à la normale).
Depuis 2003, les laboratoires scientifiques Mayo Medical Laboratories à Rochester, au Minnesota, procèdent à l’analyse d’ADN de personnes souffrant de dépression afin de déterminer leur degré de tolérance aux antidépresseurs. En plus d’analyser les gènes du foie, ils analysent désormais certains gènes du cerveau (l’étude du CAMH est la première du genre pour un établissement de santé mentale). Il existe par ailleurs une douzaine d’entreprises aux États-Unis offrant une trousse d’analyse d’ADN destinée au grand public, mais selon les experts, ces entreprises surestiment souvent les avantages de leurs produits. De plus, les consommateurs courent le risque de prendre des décisions basées sur une mauvaise interprétation des résultats.
Selon David Mrazek, professeur et psychiatre pour enfants et adolescents à l’école de médecine clinique Mayo School of Medecine, le type d’analyse effectué par le CAMH et les laboratoires Mayo est appelé à devenir la norme, car le coût de telles analyses ne sera pas un obstacle au progrès. «Dans 10 ans, l’analyse complète du génome d’un patient coûtera moins de 1000 $». Le professeur croit par ailleurs qu’un jour le génome de chaque personne sera connu à la naissance, et peut-être même avant la naissance. L’objectif sera alors d’interpréter correctement ce magma d’information génétique.
Actuellement, les personnes cherchant à faire analyser leur ADN sont celles qui réagissent mal à la prise d’antidépresseurs. Elles souhaiteraient savoir à l’avance si elles toléreront le médicament qui leur est prescrit. L’intérêt pour ce genre de renseignement s’élargira et de plus en plus de gens auront recours à l’analyse de leur ADN.
«Au fur et à mesure qu’ils seront sensibilisés, les gens exigeront de plus en plus d’information au sujet de leur ADN auprès de leur médecin, et les patients chercheront à faire analyser leur ADN à titre de précaution», affirme le directeur de recherche.
«Selon moi, le traitement personnalisé représente un progrès médical révolutionnaire qui transformera la vie des personnes souffrant de dépression», affirme le directeur. De plus, il estime que cette nouvelle méthode de prescription permettra au système de santé de l’Ontario d’économiser environ 11 millions de dollars par année grâce à une baisse des effets secondaires, ce qui entraînera indirectement une diminution des visites à domicile et des séjours aux soins intensifs, souvent associés aux infections en milieu hospitalier.
Plusieurs semaines après l’analyse de mon ADN, j’obtiens les résultats. Dans un sens, ils sont plutôt décevants: ma vitesse de métabolisation est «normale», cela ne me surprend pas puisque le Cipralex et le Celexa n’ont pas d’effets secondaires dans mon cas. En somme, je peux me compter chanceuse.
Je n’aime pas dépendre d’antidépresseurs et le fait que leurs effets à long terme ne soient pas tous connus m’inquiète, mais à vrai dire, ces médicaments m’ont beaucoup aidé: je me porte mieux depuis que je les prends. De savoir que j’ai besoin d’antidépresseurs pour prévenir la dépression grave ne me réjouit pas, mais je suis heureuse de pouvoir recourir à ces médicaments et d’en bénéficier.