Le débat fait rage. Nous avons demandé à deux expertes aux positions contraires de nous présenter les pour et les contre de l’auto-examen des seins.
Pendant des années, les médecins nous ont répété que nous devions pratiquer régulièrement l’auto-examen des seins (AES), qui consiste à examiner attentivement ses seins et à les palper dans le but de détecter la présence éventuelle de bosses. Cela semblait l’évidence même, une sorte de système d’alarme précoce. Cependant, les omnipraticiens ont récemment changé de discours et nous le déconseillent désormais, la Société canadienne du cancer ayant cessé, en 2007, de le recommander comme méthode de dépistage du cancer. Il en a été de même pour la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC) qui, en 2006, s’éloignait de sa position classique en affirmant que l’AES ne devait pas être enseigné aux femmes à moins qu’elles le demandent. Pour jeter un peu de lumière sur la question, nous avons consulté deux expertes aux positions opposées.
Nancy Baxter est l’auteure principale d’un article publié en 2001 et qui a contribué à faire changer l’opinion de la communauté médicale canadienne sur l’AES. Dans des essais randomisés avec groupe témoin, elle a découvert que les femmes qui le pratiquaient régulièrement ne couraient pas moins de risques que les autres de mourir du cancer du sein. Les résultats préliminaires d’une de ses études, menée à Shangaï, avaient de quoi impressionner, 267 040 femmes âgées de 31 à 64 ans y ayant participé. Chirurgienne à l’hôpital St. Michael de Toronto, Nancy Baxter est également titulaire d’un doctorat en épidémiologie. Elle s’intéresse tout particulièrement aux diverses méthodes de dépistage du cancer dans le but d’en établir l’efficacité.
Nancy Baxter Les preuves sont encore plus probantes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient à l’époque. Peu de temps après la publication de mon article, les résultats finaux de l’essai de Shangaï ont été dévoilés; ceux d’une étude randomisée montraient clairement qu’il n’y avait aucun avantage à enseigner aux femmes à pratiquer l’AES.
PS De quels moyens disposent les jeunes femmes, étant donné qu’elles ne passent normalement pas de mammographie?
NB On ne recommande aucun test de dépistage pour les jeunes femmes. Leur risque étant faible, l’AES ne révélerait probablement que des tumeurs bénignes.
PS Quel est le taux des femmes qui se découvrent elles-mêmes un cancer?
NB Dans le passé, la plupart des femmes le découvraient elles-mêmes. Avec la mammographie de dépistage, cette proportion diminue, bien que je ne sois pas en mesure de vous donner le taux exact. Quoiqu’il en soit, ce n’est pas grâce à l’AES que les femmes se découvrent habituellement un cancer, mais par palpation accidentelle, par exemple quand elles prennent un bain, s’habillent ou lors d’une relation sexuelle. Il est important de faire la différence entre ces palpations accidentelles et la pratique régulière de l’AES.
PS Pourtant, les femmes qui pratiquent régulièrement l’AES n’ont-elles pas plus de chances de découvrir une anomalie, ne serait-ce que parce qu’elles sont plus familières avec leurs seins?
NB Il ne semble pas que, de cette manière, on puisse découvrir un cancer assez tôt pour que cela fasse une différence. Les tumeurs que les femmes se découvrent avec l’AES sont habituellement assez grosses, comparativement à celles que la mammographie, par exemple, peut révéler. Il est vrai qu’avec l’AES, une femme pourrait se découvrir une tumeur quelques mois plus tôt que par palpation accidentelle. Cependant, quand une tumeur est assez grosse pour qu’on la détecte par l’AES, de même que par palpation accidentelle d’ailleurs, c’est sa nature et le traitement administré qui influeront sur le pronostic. Le dépistage précoce n’est qu’un des éléments importants dans le traitement du cancer du sein. Même de minuscules cellules cancéreuses peuvent tuer. Certaines femmes chez qui on en a découvert par mammographie mourront de leur maladie. D’autres survivront à de très grosses tumeurs. La nature du cancer, son degré de virulence, voilà probablement l’élément le plus déterminant dans le pronostic de cette maladie.
PS Y a-t-il un risque que les femmes qui pratiquent l’AES passent un plus grand nombre de biopsies et que ces dernières se révèlent négatives?
NB Oui. L’augmentation du nombre de consultations médicales et de biopsies inutiles constitue le principal problème de cette pratique.
PS Pour les femmes qui se sont découvert un cancer et qui ont le sentiment que cette pratique leur a sauvé la vie, c’est assez troublant d’entendre cela.
NB Je comprend que, pour elles, l’auto-dépistage ait été très important. Je ne nie pas leur vécu. Les gens ont droit à leurs croyances, mais ce n’est pas une méthode qu’on peut appliquer à une population en général. Nous recommandons plutôt le test de dépistage de routine. Et aussi, un mode de vie sain. Bien sûr, si une femme se découvre une bosse par accident, elle devrait consulter son médecin.
Diana Ermel est présidente du Réseau canadien du cancer du sein. Infirmière depuis 42 ans (dont 35 consacrés à l’enseignement des sciences infirmières), cette femme de Regina s’est découvert un cancer il y a 16 ans.
Plaisirs santé Les femmes devraient-elles pratiquer régulièrement l’auto-examen des seins?
Diana Ermel Absolument. L’idée de l’auto-examen, c’est de connaître vos seins et de savoir ce qui est normal pour vous; si quelque chose change, vous le saurez rapidement. Si vous observez un changement, faites-vous examiner par un praticien de la santé. Il ne trouvera probablement rien d’anomal, mais il est important de consulter. Les femmes devraient savoir assez tôt dans l’existence ce qui est normal pour elles.
PS Ne craignez-vous pas que les femmes consultent trop souvent leur médecin?
DE Justement, non : si vous connaissez vos seins, vous serez mieux à même de détecter un véritable changement. Dans ce cas, oui, vous devriez-vous faire examiner. Si vous n’avez rien d’anormal, ce sera l’occasion pour le praticien de la santé de vous apprendre à faire la différence entre ce qui l’est et ne l’est pas.
PS Comment les femmes peuvent-elles savoir s’il y a quelque chose d’anormal?
DE Elles doivent connaître la texture de leurs seins, et savoir quoi chercher. Y a-t-il des rougeurs? Un de vos mamelons s’est-il soudainement ombiliqué? Si c’est le cas, ce n’est pas bon signe. Il faut savoir aussi où palper, par exemple les aisselles, et comment le faire. Si vous enfoncez le doigt dans votre peau ou ne faites que passer la paume en surface, il y a peu de chances que vous découvriez une anomalie. Sur la Toile, il y a quelques bons sites Web où l’on vous apprend à pratiquer correctement un auto-examen des seins, par exemple breastselfexam.ca/french/