… et 26 autres phrases qui vous mettent hors de vous
Cela fait des semaines que notre liaison Internet bat de l’aile et que nous nous renvoyons la balle. «Chérie, peux-tu appeler le fournisseur pour voir ce qui cloche?» Ce à quoi je réponds invariablement: «Appelle, toi. C’est TON tour!»
Tout cela parce que nous craignons comme la peste de tomber sur… la téléphoniste virtuelle du service à la clientèle. Au départ, ces «voix amicales» qui ont littéralement envahi les lignes téléphoniques devaient révolutionner le service à la clientèle grâce à leur système de reconnaissance vocale. Elles devaient nous comprendre, exaucer le moindre de nos désirs. Mais lorsque celle de notre fournisseur me répète pour la troisième fois: «Désolé, je n’ai pas compris votre nom!», je vois rouge!
Au moins, je ne l’ai jamais entendue prononcer la phrase qui tue, l’une des plus honnies des Québécois: «Votre appel est important pour nous».
En octobre 2010, Sélection a demandé à la firme Léger Marketing de sonder les Québécois sur les phrases qui les irritent le plus. Au total, 27 expressions ont été soumises à 400 répondants, du «Ça ne marchera jamais» à «Tu aurais dû» en passant par «Un billet de loterie avec ça?» J’avais parié sur «C’est toi qui le sais», une phrase qui m’horripile particulièrement. C’est une manière polie (et un peu hypocrite) de dire: «Te dire la vérité serait totalement déplacé».
«Votre appel est important pour nous» cache tout aussi mal son côté hypocrite. Si notre appel était si important qu’on le prétend, un humain y répondrait. Et vite! «Ce n’est pas la phrase que les gens n’aiment pas, c’est le fait d’attendre», fait observer Pierre Marc Jasmin, président de Services Triad, une firme de consultation pour les centres d’appel. Son travail consiste à aider les entreprises à irriter le moins possible leurs clients au bout du fil. Selon lui, celles qui pensent encore nous berner avec cette phrase préfabriquée font preuve d’un manque total de créativité.
Mais il y a eu pire! Souvenez-vous de l’époque où l’on nous faisait poireauter dans le vide, de ces longues minutes passées à se demander si on allait un jour nous répondre. En fait, au début, la phrase «Votre appel est important pour nous» avait quelque chose de… révolutionnaire. «Elle mettait un petit baume dans le cœur des gens, explique Pierre Marc Jasmin. Et puis, on ne peut quand même pas dire au client: «Nous savons que vous êtes frustré d’attendre, mais, de grâce, patientez encore un peu!»
Parce que dire la vérité, toute la vérité, n’est pas toujours la meilleure solution. Pensez à la phrase: «Tous nos agents sont occupés…» Qu’est-ce que vous en avez à faire qu’une puissante multinationale chipote sur le personnel?
Nous ne supportons pas l’hypocrisie, mais nous trouvons presque aussi difficile d’entendre la vérité. Robert Marinier, qui s’est prêté à notre exercice de classification des irritants, n’aime pas se faire dire «Si tu m’avais écouté». Ce qui agace le plus cet agent de la faune de 49 ans, dans cette phrase, c’est que, bien souvent… elle est parfaitement justifiée.
«Quand je fais une gaffe, je mérite de me faire dire «Si tu m’avais écouté». Et plus je le mérite, moins j’ai envie de l’entendre, dit-il. Mais le pire, c’est que je l’utilise.»
Que M. Marinier lance cette phrase à un homme ou à une femme n’aura toutefois pas le même impact, les premiers étant moins enclins à se faire dire leurs quatre vérités: 51 pour 100 d’entre eux sont irrités par la phrase «Si tu m’avais écouté», contre seulement 38 pour 100 des femmes.
«Les hommes sont hypersensibles à la critique, explique le psychologue et sexologue Yvon Dallaire. Si vous dites à une femme qu’elle a une couette de travers, elle vous remerciera. Si vous dites la même chose à un homme, il aura l’impression que vous le maternez», explique-t-il.
Presque aussi irritante au rayon des vacheries amoureuses, l’expression «Tu me fais penser à ta mère [à ton père]» est rarement utilisée pour souligner les traits positifs de belle-maman ou de beau-papa.
Yvon Dallaire, auteur de Qui sont ces couples heureux? et de Cartographie d’une dispute de couple, ne s’étonne pas de ces petites bombes qui minent la vie de couple. «Il n’y a pas plus malappris que des conjoints entre eux», dit-il. Diriez-vous «Tu me fais penser à ta mère», «Tu ne comprends jamais rien» ou «Tu aurais dû» à un collègue de travail ou à un ami?
Selon le conseiller matrimonial, les unions heureuses ne concerneraient que de 15 à 20 pour 100 des couples. Et ces petites phrases presque anodines sont pour beaucoup dans le malheur conjugal. «Elles signifient toutes «J’ai raison, tu as tort», observe Yvon Dallaire. Et rejeter tous les torts sur l’autre, c’est le jeu préféré des couples malheureux.»
Puis, quand la chicane prend, on lance un «Calme-toi!», autre phrase qui fâche et qui n’a jamais calmé personne.
Pourquoi sommes-nous si bornés? «Parce que notre cerveau fonctionne encore comme au temps des cavernes», explique Yvon Dallaire. Les émotions négatives agissent comme des signaux d’alarme. Sauf qu’au lieu de prendre ses jambes à son cou, on crie, on rugit, on se frappe la poitrine, jusqu’à ce que l’on se fasse dire… «Calme-toi!»
«Je ne veux pas te dire quoi faire, mais…»
Une autre sphère où nous gérons aussi bien nos émotions qu’un gorille est celle du travail. Un de mes collègues semble prendre un malin plaisir à souligner les erreurs des autres en envoyant un courriel à tout le service… qu’il s’applique à faire suivre à la haute direction en copie conforme. C’est l’exemple parfait du casse-pieds. Sa phrase de prédilection: «Je ne veux pas te dire quoi faire, mais…»
«La première partie de l’énoncé correspond à ce qui est socialement acceptable, explique le psychosociologue Daniel Lapensée, directeur général de COSE, une firme de consultation en gestion d’entreprise. Le «mais» annule tout le reste.» Comme dans la phrase: «Je ne suis pas raciste, mais…»
La plupart des tensions au boulot sont liées à un simple choix de mots, poursuit Daniel Lapensée. Des mots qui servent souvent à camoufler un malaise plus grand. Dans le cas de mon collègue: son désir refoulé d’être le patron. Ses mots mielleux («Je ne veux pas te dire quoi faire») traduisent une réalité inavouable: «Je te suis supérieur. Alors, fais ce que je te dis.» De la même façon que «Votre appel est important» est censé nous faire accepter d’attendre au bout du fil en nous berçant d’illusions.
Mais nous ne sommes pas dupes. Nous voyons très bien venir notre collègue lorsqu’il nous dit «Prends-le pas personnel» – la formule idéale pour que nous nous sentions tout de suite visés! Si on prenait le temps de réfléchir avant de parler, on filtrerait nos messages de toutes ces intentions cachées, mots à double sens et autres sous-entendus malveillants. «Si on commençait notre phrase par «Je ne sais pas comment te dire…», ce serait déjà plus authentique», croit Daniel Lapensée.
J’aurais beaucoup de compassion pour mon collègue s’il m’avouait tout simplement: «Je rêve depuis toujours d’être le patron, je suis terriblement jaloux des autres, et la seule façon que j’ai trouvée pour grimper dans la hiérarchie, c’est de les enfoncer.» J’aurais alors presque envie de dire un bon mot au patron à son sujet, mais ça ne risque pas d’arriver. Tout ça parce qu’une certaine forme de paresse et de maladresse contamine notre façon de communiquer.
On peut par exemple mettre fin à des heures de débat d’un simple «Ça ne marchera jamais», une phrase qui atteint des sommets d’impopularité dans notre sondage, parce qu’elle exclut toute possibilité de réflexion et d’analyse. «Ça ne marchera jamais», c’est le triomphe de la loi du moindre effort…
S’il y a un autre domaine où l’Homo sapiens a encore du pain sur la planche, c’est dans sa relation aux nouvelles technologies. Comme le révélait un sondage de Sélection en 2005, le cellulaire demeure LE grand irritant. Pas étonnant, donc, si la phrase «Une minute, on m’appelle sur mon BlackBerry…» est celle qui nous tape le plus sur les nerfs. Qu’il s’agisse d’un BlackBerry, d’un iPhone ou d’un téléphone lambda, c’est le comportement qui irrite.
«Le cellulaire est une espèce de fantôme qui peut surgir n’importe quand et qui a la priorité sur tout ce qu’on est en train de faire», commente André H. Caron, titulaire de la chaire Bell en recherche interdisciplinaire sur les technologies émergentes, et coauteur du livre Culture mobile.
Donnons-nous une chance: le cellulaire ne fait partie de nos vies que depuis une vingtaine d’années. Une adaptation s’impose. «Cette technologie exige une nouvelle étiquette qui commence à entrer dans les mœurs: on n’entend presque plus de téléphones sonner au cinéma, constate André H. Caron. Les codes de conduite sont encore en cours d’élaboration.» Le spécialiste des communications évoque aussi le très indiscret «Où es-tu?» parmi les nouveaux irritants engendrés par cette technologie.
Hélas, la situation n’est pas près de s’améliorer. «Maintenant, on ne parle plus au téléphone, on le regarde!» souligne André H. Caron en faisant allusion aux technophiles complètement absorbés par leur appareil «intelligent».
C’est peut-être une question de génération, ou parce que j’ai moi-même le téléphone greffé à la paume, mais qu’on m’interrompe pour prendre un appel ne met pas trop ma susceptibilité à l’épreuve.
Non, moi, ce qui me rend dingue, c’est d’entendre:
«Chérie, peux-tu appeler les gens d’Internet, s’il te plaît?»