Vendredi 28 novembre, émissions La Une . un documentaire sur la reine Elisabeth (1876-1965). De nouveaux éléments émergeraient sur les relations étroites d'Elisabeth avec les pays communistes. Dans Mémo Eos (8, 2013) nous avons précédemment publié un long article sur "la reine rouge".
Vendredi 28 novembre, La Une diffusera un documentaire (en français) sur la vie de la reine Elisabeth (1876-1965), avec la collaboration de sa petite-fille, la princesse Esmeralda. Entre autres choses, de nouveaux éléments vont émerger sur les relations étroites qu'Elisabeth a entretenues en pleine guerre froide avec divers pays communistes, contre la volonté du gouvernement belge. Elle a voyagé en Union soviétique et en Chine, entre autres. Et pour cette raison a été étiqueté comme "l'enfant terrible de Stuivenberg".
En tant que princesse bavaroise, Elisabeth épouse le roi Albert Ier en 1900, avec qui elle aura trois enfants (Léopold, Karel et Marie-José). Au déclenchement de la Première Guerre mondiale, la Belgique neutre est envahie par sa propre Allemagne natale. A la tête d'une petite armée, le "Roi-Chevalier" résiste quatre ans à l'armée allemande, depuis le petit bout de terre non occupé autour d'Ypres.
La famille royale vit parmi les troupes belges. Elisabeth travaille occasionnellement comme infirmière et est internée à l'hôpital de la Croix-Rouge Hôpital de l'Océan à La Panne. Y a-t-il le germe de son pacifisme ultérieur ? Le fait est que les monarques ont entamé des négociations secrètes avec l'Allemagne dans l'espoir de mettre fin à la guerre et à l'effusion de sang. Elisabeth a joué un rôle clé dans cette initiative qui s'est malheureusement avérée vouée à l'échec.
La Belgique sort de la guerre sous le nom de David, l'outsider qui a résisté héroïquement au terrible géant Goliath. Personne n'incarne mieux cette image que le couple royal. Albert et Elisabeth sont accueillis triomphalement en 1919 tant aux USA qu'en France.
Mussolini
En 1929, leur fille Marie-Josée épouse Umberto, le prince héritier d'Italie, qui a depuis embrassé le fascisme. Elisabeth adopte une attitude ambiguë. Dans un journal italien, elle exprime son admiration pour l'élan de Mussolini. En revanche, le couple royal belge plaidera personnellement un laissez-passer auprès du Duce pour Gina Lombroso et Gugliemo Ferrero, un couple connu pour son engagement antifasciste. Le comte Sforza, ancien ambassadeur d'Italie et adversaire notoire de Mussolini, est un invité bienvenu à Laeken. Avec la Seconde Guerre mondiale, Elisabeth, devenue entre-temps veuve, entame également une période intense pleine de maux de tête. Son fils Léopold, héritier du trône d'Albert et désormais veuf lui-même, sera plus tard accusé de ne pas avoir résisté au nazisme et de s'être montré trop indulgent envers l'occupant allemand, en partie à cause de son second mariage avec Lilian Baels. Collaboration avec l'ennemi, c'était donc dans la bouche de ses détracteurs les plus acerbes. Après la libération, son jeune frère Charles devient prince régent de Belgique, tandis que Léopold reste en exil en Suisse.
Elisabeth était convaincue que la science et l'art pouvaient promouvoir la compréhension mutuelle et la paix
Dans le protocole, Elisabeth, qui a plaidé à plusieurs reprises pendant la guerre le sort des juifs belges auprès de l'occupant, occupe une position unique. Karel étant célibataire, elle reste la seule reine de Belgique jusqu'au mariage du roi Baudouin en 1961. Comme à son habitude, elle reprend son rôle de mécène, notamment en musique où elle avait déjà mis les épaules au concours Eugène Isaÿe en 1937-38.
Immédiatement après la guerre, les communistes belges ont brièvement pris le pouvoir. Tous les autres partis sont anti-communistes et 100% favorables à l'OTAN. Boudewijn, qui a succédé à son oncle, le prince régent Karel, est considéré comme un conservateur au franc-parler. Il vit d'abord dans l'ombre de son père abdiqué Léopold, et de sa belle-mère Lilian. Après son mariage en 1961, il est sous l'influence de sa très catholique épouse Fabiola, dont la famille a entretenu des liens étroits avec Franco.
Les communistes, seuls dans le climat antisoviétique général, tentent de sortir de leur isolement en se constituant un réseau de sympathisants. L'Association d'amitié Belgique-Union soviétique doit également recruter des membres en dehors des rangs du Parti communiste belge. Dans cet esprit, elle développe une gamme d'activités culturelles, des concerts, des représentations théâtrales, des conférences aux voyages. L'initiative fut bientôt suivie par d'autres démocraties populaires. C'est ainsi que la guerre des amis belgo-polonais et l'association belgo-chinoise voient le jour.
Culture ou politique ?
Immédiatement après la fondation de l'Association d'Amitié Belgique-Union Soviétique, la Reine Elisabeth a été élue membre honoraire. A ce titre, elle fréquente galas et festivals de films soviétiques, activités tout sauf neutres sur fond de guerre froide. Elle est également responsable d'un tournoi international d'échecs pour étudiants auquel participent un nombre considérable de joueurs d'échecs de l'Union soviétique et d'autres démocraties populaires. Elisabeth aurait également signé l'appel à la paix de Stockholm, selon le journal France Soir, même si elle avait des doutes sur "cette manœuvre communiste". Elle peaufine également son russe, dont elle a appris les bases en Bavière, avec Dimitri Goldé, un ingénieur russe employé par la Sabena. En 1954, elle préside une rencontre entre des écrivains des deux blocs, dont Carlo Levi, Vercors, Bertold Brecht, Elsa Triolet et Jean-Paul Sartre. Les auteurs du Bloc de l'Est ont été invités sous la protection de la Reine. Après les rencontres à Knokke-Het Zoute, ils sont reçus au château du Stuivenberg.
L'organisation d'un concours international de musique portant son nom est aussi l'une des remarquables initiatives pacifistes d'Elisabeth. La reine supposait – sans tenir compte du fait que la musique classique jouée au concours était le produit d'une élite occidentale – que les symphonies de Beethoven et les sonates de Brahms avaient une résonance universelle et agissaient ainsi comme un moyen de communication pouvant servir entre des personnes de tous horizons et de toutes cultures.
C'est cette vision idéologique de l'art comme outil d'harmonie qui parcourt comme un fil rouge les activités pacifistes de la reine, les contacts qu'elle entretient derrière le rideau de fer et, surtout, les voyages spectaculaires qu'elle entreprend dans le bloc communiste. . Au total, la reine Elisabeth a prévu sept voyages dans les pays communistes (voir ci-dessous). Bien que ces voyages aient un caractère privé, leur importance politique est indéniable et se joue à plusieurs niveaux. La visite de la reine a apporté de l'eau au moulin de la propagande des régimes communistes. Non seulement il a rompu leur isolement diplomatique, mais il a également montré à l'opinion publique nationale que le régime suscitait la sympathie jusque dans les plus hautes sphères des pays capitalistes. Le parti communiste belge, qui avait rapidement perdu la faveur populaire qu'il avait gagnée pendant la guerre après la libération, a également bénéficié de l'attitude accessible de la «reine rouge». Surtout quand il a honoré les activités culturelles organisées par le KP avec sa présence illustre, comme la représentation du Cirque de Moscou.
Camps polonais
Le gouvernement, soutenu par le reste de la famille royale par ailleurs très conservatrice, tentera de saboter les initiatives de la reine. Par exemple, le ministre socialiste des Affaires étrangères, Paul-Henri Spaak, tente en vain de contrecarrer sa visite en Pologne en 1955. Dans le Courier de Verviers, Jo Gérard dénonce le voyage prévu et demande au roi Baudouin d'interdire le voyage. Plus tard, une remarque cassante sur cet incident sera notée dans les archives de la Reine. 'Est un ancien collaborateur', précise-t-on sous le nom de Gérard.
La très catholique-conservatrice La Libre Belgique dissout tous ses démons et qualifie de scandale le fait que la reine donne une légitimité à un régime qui enferme prêtres et clergé dans des camps de concentration. Le magazine d'extrême droite Europe Magazine met le voyage "honteux" en couverture, mais le libéral Pourquoi pass? prend la défense de la reine en soulignant que le voyage à Varsovie est purement culturel. Quel était le point? Selon le comte de Meeûs d'Argenteuil, envoyé belge à Varsovie, la visite a eu des conséquences essentiellement positives pour les relations bilatérales belgo-polonaises. La Reine a entrepris des démarches en faveur des couples belgo-polonais séparés par la guerre.
D'une part, elle a félicité le régime pour ses efforts visant à améliorer le climat social et la liberté religieuse. Dans le même souffle, cependant, elle s'est adressée au président du Conseil d'État sur le sort du cardinal emprisonné Wyszynski.
Mausolée de Staline
À l'approche du voyage de 1958 en Union soviétique, c'est encore un autre ministre socialiste des Affaires étrangères, Victor Larock, qui a tenté de dissuader la reine de ses projets de voyage. Il fait du comte de Meeus d'Argenteuil, aujourd'hui maréchal de la reine, la préoccupation du gouvernement :les Soviétiques pourraient abuser de la visite à des fins de propagande, et qu'en penserait l'opinion publique intérieure et extérieure ? Larock a fait preuve d'hypocrisie en présentant ses véritables motivations comme étant préoccupées par l'exposition de la reine âgée à l'hiver russe… en avril !
Le voyage a en effet été bien accueilli, même les journaux du Brésil et de Hong Kong l'ont repris. Cependant, les témoignages et les analyses diffèrent. L'ambassadeur de Belgique à Moscou, Walter Loridan, rédige une note de 28 pages. Oui, cela sonnait, la reine avait exprimé sa sympathie et son admiration pour les réalisations du peuple soviétique. Mais, a souligné l'ambassadrice, elle s'était accommodée autant que possible des gestes politiques. Par exemple, elle a envoyé son chat à l'établissement solennel de l'homologue soviétique de l'Association d'amitié Belgique-Union soviétique. Elle a également refusé de déposer une couronne au mausolée de Lénine et de Staline, mais sur une photo prise pendant le voyage, la reine se tient debout avec une énorme guirlande de fleurs dans les mains, s'apprêtant à déposer la pièce au mausolée de… Lénine. Divers journaux méprisent la reine qui refuse dans un premier temps d'assister au mariage de sa petite-fille Maria-Pia dans le Portugal de Salazar, alors qu'un peu plus tard elle ne voit pas l'intérêt de rendre hommage à Lénine.
Seuls de courts articles parurent dans la presse belge sur le voyage qui irrita la Cour de Laeken. L'hebdomadaire satirique Pan, en revanche, avait un problème avec cela.
Pionnier en Chine
Si l'apparition de la reine au Kremlin avant le spectacle du 1er mai a fait grand bruit dans les milieux conservateurs, la clôture n'a vraiment été levée que lorsqu'elle a décidé de mettre le cap sur Pékin. Selon Pan, le Premier ministre belge est presque littéralement tombé de sa chaise, mais la reine n'a laissé rien ni personne l'arrêter. La Belgique et la Chine n'entretenaient pas de relations diplomatiques. La Reine et sa petite délégation se rendirent donc en véritables pionnières dans ce pays complètement isolé qu'était la République populaire. Au retour de Chine, la reine avait rédigé un communiqué de presse plaidant pour la reconnaissance de la République populaire. A Laeken, où la tempête s'est fait sentir, un plan d'urgence a été forgé. Immédiatement après son atterrissage à Zaventem, la reine âgée a été poussée dans une limousine dans un véritable style commando et emmenée, sans avoir la possibilité de s'adresser à la presse rassemblée. Le journal du dimanche Phare-dimanche comparerait la précision militaire de l'opération à la libération de Mussolini par les SS allemands en septembre 1943. La reine était furieuse. Le soir même, elle convoque la presse à Stuivenberg. Elle est apparue à la télévision avec une cocarde rouge à la boutonnière, posant devant un portrait encadré d'argent de Mao Zedong.
Elle a ainsi délivré le message redouté par sa famille et l'ensemble du gouvernement :"Je souhaite que le pays soit uni sous la direction de la République populaire de Chine". Elle a également plaidé pour un rapprochement entre la Belgique et la Chine et exprimé son admiration pour "la sagesse des dirigeants chinois, en particulier Mao Zedong".
Naïf ou idéaliste ?
Diverses explications ont circulé sur le comportement d'une reine qualifiée dans la presse d '«enfant terrible de Stuivenberg». Les cercles conservateurs de droite, bien qu'indéfectibles dans leur allégeance monarchiste, ont réagi avec choc aux sympathies communistes de la vieille reine. Ils ont donc essayé de la dépeindre comme une personne âgée naïve qui n'était plus en mesure d'estimer les conséquences de ses actes. De plus, Elisabeth s'est laissée manipuler par certains éléments de son entourage, comme le baron Allard ou Kamiel Huysmans, l'ami socialiste de la famille qui l'avait entraînée dans les eaux de l'extrême gauche dans sa vieillesse.
D'autres ont fait le tour psychologique. Elisabeth, qui avait été une véritable star sur la scène internationale dès 1914, avait du mal avec son nouveau statut. Elle ne supportait pas qu'après la mort de son mari, elle soit pour ainsi dire mise à la retraite, et que son fils Léopold, après son sacre, allait être au centre de l'attention, phénomène qui s'est intensifié après son mariage. à Astrid de Suède qui vivait dans sa maison, la nouvelle patrie était vénérée comme une sainte populaire. Lors de ses voyages en Orient, en tant que reine mère, elle aurait retrouvé les honneurs qui lui étaient dus dans son propre pays à l'époque. Les rendez-vous avec les seniors, les limousines aux cordons de sécurité, flattaient son ambition blessée. D'ailleurs, il était plus facile pour Elisabeth d'apparaître à la télévision soviétique – elle s'exprimait en russe – qu'à la télévision belge. Elle ne manquait nullement d'honneurs en Orient. Elisabeth a été accueillie comme une représentante hautement honorée de l'élite européenne qui avait finalement réalisé la supériorité du communisme.
D'un autre côté, Elisabeth a toujours eu un faible pour les leaders forts. Elle admirait Mussolini sous son premier règne, écrivit des lettres à Staline et exprima plus tard son admiration pour Kruchov et Mao.
Et peut-être, en tant que reine âgée, Elisabeth a-t-elle également pris un malin plaisir à choquer sa famille et son environnement conservateurs.
L'explication peut aussi être cherchée ailleurs, dans la personnalité et la conviction philosophique de la reine elle-même. D'une part, elle était animée par la curiosité :elle voulait voir de ses propres yeux à quoi ressemblait la vie dans des pays comme l'Union soviétique, la Chine, la Pologne et la Yougoslavie. Elle l'aurait dit ainsi à sa petite-fille Marie-Gabriëlle de Savoie :"Je veux voir le monde de mes propres yeux". Bien sûr, on peut s'interroger sur le réalisme de la perspicacité que lui ont donnée les autorités. Néanmoins, ce n'était pas une mince affaire que de visiter la Chine, un pays de près d'un milliard d'habitants dont l'existence a été presque ignorée par l'Occident. D'autre part, la reine était convaincue que la coopération intellectuelle et artistique pouvait ouvrir la voie à la compréhension mutuelle et à la paix. La science et l'art étaient des plates-formes idéales pour forger des liens. Ce n'est pas un hasard si elle a écrit une lettre à Staline en 1953 lui demandant s'il pouvait partager cette vision.
Décongeler
Elisabeth a été la toute première reine à s'aventurer derrière le rideau de fer. Graaf de Meeûs d'Argenteuil, envoyé belge à Varsovie lors de sa visite en Pologne en 1955, décrit cette démarche remarquable comme une expression de la philosophie de vie d'Elisabeth dans laquelle l'art rejoint la conscience humaine. Dans son rapport au ministre des Affaires étrangères Paul-Henri Spaak, il souligne l'influence positive de la visite sur les relations entre la Belgique et la Pologne.
Anticipant la normalisation des relations entre l'Europe de l'Ouest et l'Europe de l'Est, il tire la conclusion suivante :La visite de la reine Elisabeth a contribué à la convergence entre deux idéologies qui prennent peu à peu conscience qu'il n'y a pas d'alternative à la coexistence. C'est certain :la reine Elisabeth a mené son audacieuse ouverture au monde communiste en toute indépendance vis-à-vis du gouvernement belge.
(Extrait de Mémo Eos, n°8, 2013 )