Esther Erzah ne peut pas se permettre d’être malade, et encore moins contagieuse. En 2021, cette femme alors âgée de 46 ans dirige une garderie dans sa maison du Bronx, à New York, et doit également s’occuper de ses cinq enfants, âgés de 12 à 19 ans.
Illustration de Victor Wong
La patiente: Esther Erzah, 46 ans, directrice de garderie
Les symptômes: ganglions lymphatiques gonflés, maux de tête, escarre et éruptions cutanées
Les médecins: l’équipe d’infectiologues de l’hôpital Montefiore, New York
Esther Erzah ne peut pas se permettre d’être malade, et encore moins contagieuse. En 2021, cette femme alors âgée de 46 ans dirige une garderie dans sa maison du Bronx, à New York, et doit également s’occuper de ses cinq enfants, âgés de 12 à 19 ans. Mais lors d’un voyage en Caroline du Sud pour la cérémonie de remise de diplôme de son fils aîné, à la fin du mois de juin, elle commence à se sentir étrangement faible. «Je m’étais promenée quelques heures et il faisait très chaud, j’ai donc pensé que j’étais juste fatiguée», raconte-t-elle.
Quelques semaines plus tard et après plusieurs tests de COVID-19 négatifs, Esther ne va toujours pas mieux. Elle manque d’énergie, se sent légèrement fiévreuse et a le souffle court. En même temps, s’absenter pour aller consulter un médecin est hors de question : quel que soit son problème, elle n’est certainement plus contagieuse, et trop de parents dépendent d’elle pour garder leurs enfants. Elle attend donc, en espérant que ses symptômes disparaîtront d’eux-mêmes.
Mais au mois d’août, les ganglions lymphatiques axillaires ont gonflé, et elle souffre de maux de tête constants. Une escarre a également surgi sur son flanc droit. Devant cette plaie semblable à une pustule, avec une croûte noire en son centre, Esther pense d’abord qu’il ne s’agit que d’un bouton ou d’un furoncle. Mais comme au bout d’une semaine la lésion se double d’une éruption cutanée rouge, elle se rend aux urgences de l’hôpital Montefiore, près de chez elle.
Les médecins examinent l’abcès – qui peut avoir de nombreuses causes, d’une brûlure à une plaie de lit – et prescrivent à Esther des antibiotiques pour prévenir l’infection. Ils lui recommandent de prendre de l’acétaminophène en cas de douleur.
Au cours des deux jours suivants, ses symptômes empirent. Une éruption cutanée formée de taches pustuleuses apparaît sur son front, son menton et ses joues, avant de s’étendre au reste de son corps. Elle souffre de maux de tête incapacitants, de douleurs au cou, de fièvre et de frissons, et n’a plus d’appétit. «J’ai pensé qu’il s’agissait peut-être de la varicelle, mais je l’avais déjà contractée dans l’enfance, explique-t-elle. J’étais complètement vidée. Je parvenais tout juste à me déplacer de la chambre au salon.» Son assistante prend la relève à la garderie, et son mari la ramène à l’hôpital.
Cette fois, on la garde. Et on convoque des spécialistes des maladies infectieuses pour commencer à rassembler des informations.
Esther est née au Ghana mais vit aux États-Unis depuis 14 ans. Elle n’a pas d’allergies connues, est à jour dans ses vaccins, personne d’autre dans la famille n’est malade et, à l’exception de son séjour en Caroline du Sud, elle n’a pas voyagé. Dans ses antécédents médicaux, on compte de l’asthme, des migraines occasionnelles et une hépatite B chronique, mais elle est autrement en bonne santé. Elle ne possède pas d’animaux de compagnie, mais révèle toutefois aux médecins avoir parfois eu des souris chez elle, bien qu’elle ait toujours appelé les exterminateurs dès les premiers signes de leur présence.
Une ponction lombaire écarte la méningite. Un test capable de détecter la grippe, la coqueluche et la pneumonie bactérienne donne lui aussi un résultat négatif, et elle n’est pas atteinte de la COVID-19, du virus du Nil occidental, du VIH ou de l’hépatite C. Les médecins n’ont aucune idée de ce qui peut causer ses symptômes. «Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, c’était effrayant», témoigne Esther.
L’éruption cutanée, la fièvre et les maux de tête persistants orientent l’équipe de spécialistes des maladies infectieuses vers la fièvre pourprée des montagnes Rocheuses, ou, probablement parce qu’Esther a mentionné une invasion de souris, la rickettsiose vésiculeuse, transmise par des poux de ce rongeur. Mais qu’il se soit agi de l’une ou de l’autre, les médecins commencent aussitôt un traitement de sept jours à la doxycycline, un antibiotique à large spectre utilisé pour traiter un éventail d’infections bactériennes, dont le charbon et certaines maladies vectorielles à tiques.
Comme la fièvre pourprée des montagnes Rocheuses présente un taux de mortalité élevé, les médecins la traitent immédiatement en cas de soupçon, car on ne peut en confirmer le diagnostic que des mois plus tard, au moyen d’un test des anticorps, selon la Dre Carissa Windish, qui fait partie de l’équipe qui s’occupe d’Esther Erzah. Cette maladie transmise par les tiques se manifeste justement par de la fièvre, des frissons, des maux de tête, et parfois une éruption cutanée. En l’absence de traitement, le taux de létalité plafonne à 80%. La fièvre pourprée des montagnes Rocheuses surgit généralement à l’occasion d’un voyage, mais la Dre Windish a découvert que d’autres cas s’étaient déclarés dans le Bronx.
Bien que les symptômes soient similaires, la rickettsiose vésiculeuse est bien plus bénigne et, quoique désagréable, guérit seule en quelques semaines. Cette maladie a été décrite pour la première fois dans le Queens mais se rencontre partout dans le monde, affirme la médecin. Elle porte le nom de la bactérie qui la cause (Rickettsia akari), et la première série de cas, identifiée en 1946, a d’abord été diagnostiquée à tort comme une varicelle atypique.
Le traitement de la fièvre pourprée tout comme celui de la rickettsiose est la doxycycline. En deux jours de prise de cet antibiotique, la fièvre d’Esther disparaît ainsi que son éruption cutanée. Mais elle ignore toujours ce qui l’a rendue si malade. «Parfois, quand on utilise la doxycycline pour traiter une maladie mystérieuse, on ne découvre jamais ce qui avait provoqué les symptômes», précise la Dre Windish.
Il va encore falloir un mois à Esther pour se rétablir. «J’étais très faible, mais je devais travailler, raconte-t-elle. Après mes journées à m’occuper des enfants, je restais assise sur une chaise trois ou quatre heures.»
Six mois plus tard, l’équipe de la Dre Windish a confirmé le diagnostic de rickettsiose vésiculeuse. Esther Erzah est soulagée et reconnaissante.
«Je me sens bien, affirme-t-elle aujourd’hui. Et nous n’avons plus de souris dans la maison.»
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