Tout au long du dix-neuvième siècle, Bagnolet s’est fait une spécialité de la production de la framboise, au point de devenir le plus gros fournisseur du marché de Paris. Un petit fruit éclipsé par les cultures plus prestigieuses, pêches et poires en premier lieu.
Si l’on aime les belles histoires dont est riche la mythologie, la framboise, originellement blanche, serait devenue rouge sous une goutte du sang versée par la nymphe Ida, le drame se déroulant en Crête sur les flancs du mont qui porte désormais ce nom. De là vient le nom botanique donné par Linné au framboisier : Rubus idaeus. Des vestiges végétaux montrent que la framboise est consommé depuis des temps préhistoriques. Cette ronce pousse spontanément dans toutes les régions montagneuses d’Europe, jusqu’en Laponie. En France, le framboisier est répandu dans les Vosges, les Ardennes, le Dauphiné et le Massif central. La framboise est restée longtemps un fruit de cueillette, ce n’est qu’au Moyen Âge que l’on commença à la cultiver, autant pour l’alimentation que pour des usages médicinaux. Jusqu’au dix-huitième siècle, les variétés de framboisiers étaient peu nombreuses. La Quintinie en cite seulement trois : ‘Commun à fruit rouge’, ‘Framboisier à fruit blanc’ et ‘Framboisier des deux saisons’, une précision qui indique déjà que certains sont remontants.
Dans les ouvrages plus spécialisés, l’assortiment est plus étoffé. Le framboisier commun, celui des bois avec ses petits fruits, reste alors le plus présent. Mais on note aussi les framboisiers : ‘Blanc’, ‘Sans épines’, ‘À fruit noir’, ‘de Virginie’, ‘Tardif’, ou ‘D’automne’, sans négliger le framboisier ‘Odorant’, ou ‘du Canada’, et celui ‘de Pennsylvanie’. En France, la culture connut son essor seulement au dix-neuvième siècle, en particulier dans la région parisienne. On y cultivait les framboisiers : ‘des Alpes’, ‘du Chili’, ‘À fruit jaune’, et des nouvelles varieties anglo-saxonnes, comme ‘Double Bearing’ ou framboise de Falstoff, mais aussi d’un certains nombre d’obtentions françaises. De nos jours, presque tous les framboisiers cultivés dans les jardins sont des variétés d’obtention relativement récente.
Jusqu’au dix-neuvième siècle, Bagnolet était connue par la culture de la vigne qui tenait une place prépondérante dans l’agriculture de la commune. On y produisait le ‘Chasselas’ pour la table, et le ‘Gamay’ et le ‘Pinot-meunier’ pour élaborer des vins de qualité médiocre, il faut bien l’avouer. Ce « siècle des Empires » sonna le glas de cette production. En 1814, la bataille de Paris, qui vit l’abdication de Napoléon, endommagea gravement les vignobles. À la fin du siècle, le phylloxera causa de terrible dégâts, et le raisin de Bagnolet fut concurrencé par ceux du Midi, acheminés grâce au développement du chemin de fer. Tant et si bien, qu’en 1892, demeuraient seulement 6 ha de vigne, contre plus de 60 ha 30 ans plus tôt, et encore les conservait-t-on principalement pour la production de feuilles destinées à emballer les autres fruits qui était alors produits en nombre là. Tout comme Montreuil, Bagnolet avait depuis des siècles prouvé sa capacité à mener une polyculture intensive. À côté de ses fameuses pêches, qui détrônèrent celles de Corbeil, et de ses poires qui ont assuré sa notoriété, l’arboriculture et le maraîchage de la commune étaient fort vivaces. Parmi les nombreuses productions, les fruits rouges prirent de l’importance. Fraises, groseilles, et framboises alimentaient l’insatiable marché parisien.
Longtemps, la framboise fit partie des nombreuses cultures bagnoletaises, sans vraiment sortir du lot. Les cultivateurs la tenaient pour un petit fruit mineur, de peu de rapport. En effet, sa consommation était liée à celle du sucre, un produit de luxe jusque dans la première moitié du dix-neuvième siècle. Sous l’appellation générale de « Framboise de Bagnolet », on distinguait en fait, depuis le dix-huitième siècle, trois variétés. La ‘Framboise-dé’, ainsi nommée pour la resemblance du fruit allongé avec un dé à coudre. La ‘Framboise noire’, violet foncé à parfaite maturité et la ‘Royale’, dont les gros fruits allongés et délicieux, avaient la fâcheuse tendance à se détacher de la plante à la moindre pluie, de sorte qu’il s’en perdait beaucoup. Outre cet inconvénient, ce framboisier supportait mal les ensoleillements, allant jusqu’à dépérir sous les rayons trop violents. Ces trois variétés furent remplacées en 1820 par une nouvelle venue sur la commune. Très productive, supportant les manques d’arrosage, elle donnait un fruit de grande qualité, hélas difficile à cueillir en raison d’un pédoncule court. À pleine maturité, ses délicieuses baies avaient la fâcheuse tendance à s’écraser sous les doigts. Cette délicieuse framboise fut aussi parfumée… de scandale. Le producteur qui l’avait introduite à Bagnolet soutenait qu’il était le seul à la posséder et les susceptibilities des uns et des autres amenèrent l’affaire devant les tribunaux, au point qu’un cultivateur se sentant sali alla jusqu’à se suicider ! Cette framboise noire, baptisée aussi ‘Framboise papier’ pour les dossiers de justice qu’elle provoqua, puis nommée ‘Framboise tuehomme’ pour sa funeste destinée, fut à son tour évincée. Une première fois par la ‘Framboise de Gambon’, du nom du cultivateur qui l’apporta le premier, en 1825, dans la commune. Bien parfumée, elle fut complete par une framboise du Chili à fruits jaunes, dite ‘Gambon blanche’. Ces deux variétés au long pédoncule facilitant la cueillette, ramenèrent le calme et la prospérité framboisière. La ‘Framboise de Falstoff’ aux gros fruits roses est la troisième variété cultivée à l’époque. Elle fut remplacée par une variété anglaise : ‘Queen Victoria’ rappelant l’importance de l’Angleterre dans l’obtention des petits fruitiers.
Le nom framboise est apparu au deuxième siècle. Il vient du francique « brabasia » qui désignait la mûre, mot devenu frambeise, c’est-à-dire la « mûre fraise », puis framboise. Certains disent que le terme framboise proviendrait de la déformation de « fraise des bois. » 100 g de framboises apportent 38 kcal ,ce qui est peu (60 kcal/100 g pour la fraise). Riche en calcium (22 mg) et en vitamine C (25 mg). c’est un des fruits frais à la plus forte teneur en fibres (7 g/100 g), ce qui lui confère des vertus stimulantes sur le transit intestinal. La framboise contient aussi des anthocyanines aux propriétés antioxydantes favorables à la santé. Elles luttent contre le vieillissement cellulaire, améliorant l’élasticité et la densité de la peau. C’est le fruit le plus riche en acide ellagique, un polyphénol antioxydant qui, selon des études récentes, aiderait à prévenir certains cancers.
La saveur des framboises de Bagnolet était franchement acide. À l’époque, le blocus continental coupait les approvisionnements de sucre de canne venus des Antilles françaises. En 1810, Benjamin Delessert offrit à Napoléon les deux premiers pains de sucre de betterave. Le décret du 25 mars 1811 imposa la mise en culture de 30 000 ha de betterave à sucre. Après la chute de l’Empire, le sucre de canne revint en France et les cours s’effondrèrent. Même si de nombreuses usines fermèrent, la France acquit une prédominance dans cette industrie qu’elle mit à profit lors de l’abolition de l’esclavage qui fit remonter les cours. En 1870 elle devint le premier producteur européen avec 300 000 t de betteraves produites.