Les experts pensent que la jardinothérapie pourrait être utile pour soigner la maladie mentale. Découvrez comment vous pouvez entretenir votre santé mentale avec cette approche pratique.
«Ce dont tu as besoin, c’est d’air frais et d’exercice. Ça va te remonter le moral.» C’est ce qu’un de mes proches parents me disait toujours lorsque l’anxiété s’emparait de moi et que je me réfugiais sur le fauteuil, incapable de bouger et le regard fixe. Le conseil me semblait quelque peu désuet, du genre de ce qu’aurait prescrit un médecin de la vieille école avant l’invention du Valium et du Paxil. Mais après tout, il y avait peut-être de la sagesse dans son insistance.
Je repense à cet après-midi d’automne sur les collines de Caledon (Ontario). J’observe un jeune homme atteint de schizophrénie parcourir à cheval les terres d’une belle ferme portant le nom de Peace Ranch. L’air est rempli du parfum des pommes et du foin fraîchement coupé. Un peu plus loin, un cochon renifle le sol. Des citrouilles décorées pour l’Halloween sont alignées contre le mur de brique de la maison de ferme, qui date du 19e siècle.
Le cavalier descend de sa jument blanche et se dirige vers moi pour me saluer : «Je m’appelle John», dit-il d’une voix douce en me serrant la main. Il respire le calme, ses yeux sont limpides et ses joues colorées de rouge.
«Enchantée de te connaître, lui dis-je. J’ai vu ton nom sur l’une des affiches du jardin.» Chacun des dix pensionnaires de la ferme, qui souffrent tous d’une maladie mentale, cultive une parcelle du jardin et s’occupe de la récolte. Les légumes sont apprêtés sur place ou présentés aux concours des foires agricoles du coin.
«Je ne suis pas très bon jardinier, m’explique John, mais j’aime bien cuisiner. »
«Oh ça oui, tu es un bon cuisinier», lance le directeur du Peace Ranch, Eric Tripp-McKay, un homme grand et élancé, dans la trentaine avancée, qui possède un vague air de ressemblance avec l’acteur Ray Liotta. Une fois par semaine au moins, John prépare le souper pour le petit groupe. Il s’occupe aussi des chèvres, des chevaux, des canards et des poulets, tâches qu’on lui a assignées à son arrivée, comme on le fait pour tous les nouveaux venus. Mais avant d’être accueilli dans cet établissement de santé mentale de pointe, qui figure parmi les rares «fermes thérapeutiques» d’Amérique du Nord, il lui a fallu s’inscrire sur une longue liste d’attente.
Ni John ni les autres hommes et femmes que je rencontre ne me rappellent de loin ou de proche les patients isolés et en détresse que j’ai entr’aperçus dans les salles des hôpitaux psychiatriques au cours de mes reportages, et encore moins les spectres débraillés qui hantent les rues du centre-ville de Toronto, dépsychiatrisés en dépit de la gravité de leur maladie et sans domicile fixe.
En fait, une des choses qui frappent le plus sur une ferme thérapeutique, c’est qu’on a du mal à différencier les pensionnaires, et les patients de jour, du personnel. Ils se déplacent d’un pas tranquille sur la propriété de 23 acres, habillés de jeans tachés de boue, s’occupant à soigner les animaux, à récolter les légumes ou à d’autres corvées. «Si vous n’arrivez pas à dire qui est qui, c’est que nous faisons correctement notre travail», explique en riant Christine Pollard, jardinothérapeute de Duncan (C.-B.) qui a formé une partie du personnel de la ferme.
Ce qui se passe au Peace Ranch pourrait sembler radical mais, en fait, c’est une approche pleine de bon sens, souligne-t-elle. Offrir aux personnes atteintes de troubles mentaux la possibilité d’effectuer des tâches pratiques au sein d’un groupe qui valorise leur contribution ne peut que les aider à préserver leur santé mentale. C’est à l’opposé de l’approche classique en santé mentale où le traitement des patients consiste essentiellement à leur administrer des médicaments et où ils se retrouvent isolés dans leur petit univers sans rien à faire. À la ferme, ils s’investissent dès le départ, s’occupant de plantes et d’animaux qui ont besoin d’eux.
«Si vous me permettez le jeu de mots, explique Christine Pollard, la jardinothérapie vous garde vraiment les pieds sur terre. Quand votre vie est un vaste chaos, le jardin constitue à la fois un refuge et un but : les plantes ont besoin de vous au quotidien et, en soi, c’est thérapeutique.»
«La valeur thérapeutique du jardinage et du soin des animaux ne fait plus aucun doute», écrit en 2006 le journaliste Richard Louv dans son livre Last Child in the Woods, s’appuyant sur des études empruntées au champ de l’«écopsychologie» et dont les résultats indiquent que le contact avec la nature peut avoir pour effet d’abaisser la pression artérielle et de calmer la tension musculaire. Selon les résultats de certaines de ces études, le simple fait d’observer la nature ou de s’y retrouver procurerait des bienfaits tangibles, comme si les humains étaient programmés mieux adaptés à l’environnement dans lequel ils ont évolué au fil des millénaires qu’à l’univers des bureaux éclairés aux fluorescents et des murs de béton.
Dans d’autres études, les chercheurs soulignent le rôle bénéfique de l’exercice physique contre les symptômes de l’anxiété, du stress et de la dépression. Or, travailler sur une ferme et y jardiner fatigue le corps, ce qui est nettement plus sain pour l’esprit que de se réfugier dans un fauteuil, paralysé par l’anxiété, comme c’est mon cas. En plus de leur dur travail sur la ferme, les pensionnaires du Peace Ranch montent à cheval et font de la randonnée sur la Bruce Trail se trouvant à proximité.
Un équithérapeute coiffé d’un chapeau de cow-boy est appuyé contre la clôture du pâturage des chevaux tandis qu’Eric Tripp-McKay me conduit à la grange en passant devant l’enclos des paons. Nous nous approchons d’un grand gaillard aux cheveux noirs âgé d’une quarantaine d’années, qui est en train de panser un cheval miniature à la croupe duveteuse. Plus petite qu’un poney, cette charmante créature à la robe alezane pétille de curiosité. Elle me renifle longuement la jambe avant de tenter d’extraire de la poche de ma veste un morceau de gomme à mâcher.
«Qu’est-ce que tu aimes ici?», demande le directeur à l’homme aux cheveux noirs.
«J’aime les animaux», répond-il d’un ton songeur, se redressant pour s’étirer le dos. «J’aime travailler avec eux. C’est très’ tactile.» Il agite les doigts afin de mieux illustrer son propos.
Un des patients de jour, que je trouve en train d’éplucher des carottes dans une chaleureuse cuisine à l’ancienne, me dit que ce qu’il aime surtout, c’est l’air de la campagne. «Ça vous assomme», explique-t-il, roulant les yeux et la tête vers l’arrière pour bien se faire comprendre, «c’est comme’ ouah! Boum! » A l’entendre, on croirait que l’air est un tranquillisant. Il a déjà été pensionnaire au Peace Ranch mais a dû quitter au bout de trois ans, durée maximale du séjour à cet endroit. Il est donc allé vivre dans une ville à proximité; désormais, il jardine à la ferme et vend des fruits et légumes en saison.
La jardinothérapie n’est pas une approche nouvelle. L’un des premiers établissements de santé à la promouvoir a été la Gould Farm, fondée en 1913 dans le comté de Berkshire au Massachusetts, où l’on continue de prendre soin de personnes souffrant de schizophrénie, de dépression et du trouble bipolaire. Le phénomène s’est étendu ensuite non seulement dans des États comme le Vermont, à l’Ohio et la Caroline du Nord, où des fermes thérapeutiques ont été mises sur pied, mais également à l’étranger, notamment en Australie. Ainsi, dans le Queensland, le centre Fountainhead offre des séjours comprenant le programme Beat the Blues (littéralement : combattez la déprime) sur une ferme biologique. Enfin, en Colombie-Britannique, où l’approche classique en santé mentale a vu son soutien financier diminuer au cours des dernières années, les jardins communautaires sont en pleine expansion.
Christine Pollard me donne quelques exemples de la manière dont le thérapeute adapte son approche en fonction des besoins des patients. Les personnes avec lesquelles elle travaille dans les jardins communautaires souffrent habituellement de dépendance aux drogues, de dépression, d’anxiété ou d’autres troubles mentaux.
«Lorsqu’un personne s’inscrit au programme, je commence par faire une évaluation de base. À partir de là, je ferai appel à diverses approches dont je peux mesurer l’impact.» Par exemple, si quelqu’un souhaite se sevrer d’une dépendance, elle pourra l’aider à déterrer une plante poussant dans un sol pauvre pour la transplanter dans un terreau plus riche tout en parlant avec elle des besoins de la plante, de ce qui la maintiendra en vie. «En lui servant la métaphore de la plante, j’ouvre la porte à son processus de changement.»
«Chaque fois qu’il m’apercevait, un homme souffrant d’anxiété sociale filait entre les bâtiments, poursuit-elle. Peu à peu, j’ai pu me rapprocher de lui, gagnant quelques mètres de fois en fois. A la fin, il était capable de me poser des questions en me regardant droit dans les yeux. Il avait un travail à faire, il avait un but, on avait besoin de lui, et une grande partie de son anxiété est tombée simplement parce que nous travaillions côte à côte à atteindre ce but. »
Mitchell Hewson, qui a introduit la jardinothérapie au Canada en implantant un premier programme au Homewood Health Centre, près de Guelph (Ontario), a travaillé avec des personnes souffrant de troubles alimentaires et de l’humeur, de stress post-traumatique, de dépendances ou qui étaient par éprouvées par le deuil. Il explique qu’il reçoit de plus en plus d’appels de praticiens en santé mentale désireux de connaître ses méthodes. «Les administrateurs de nombreux organismes, institutions, prisons et hôpitaux commencent à comprendre que la jardinothérapie peut constituer une approche complémentaire aux soins de santé classique», souligne-t-il, ajoutant que la médecine classique est parfois plus invasive.
Il ne s’agit pas de remplacer une approche par une autre, c’est-à-dire les antidépresseurs par le travail de la terre. Ce qui intéresse plutôt les praticiens, c’est le point de vue holistique, qui intègre divers éléments de manière harmonieuse et intervient sur les plans plus subtils de l’être.
Le soleil se couche sur le Peace Ranch. Je remonte le fermoir de ma veste pour me protéger de la fraîcheur de l’automne. Eric Tripp-McKay me conduit, à travers un vestiaire rempli de grandes bottes de caoutchouc et de vestes à carreaux, à la serre qu’on utilise l’hiver. La terre recouverte d’un paillis est prête à recevoir la laitue et les tomates cerises. «Nous sommes la seule entreprise hydroponique légitime de la province», dit-il en riant.
Humant les odeurs de la terre, je me rends compte que je n’ai pas très envie de quitter la ferme pour retourner en ville, particulièrement à l’heure de pointe. Je sais que les bouchons, la clameur bruyante et la pollution du centre-ville me rendront nerveuse. Cependant, il ne m’était jamais venu à l’esprit que je pouvais faire quelque chose pour soulager mon anxiété.
«Comment je vois les choses, énonce Eric Tripp-McKay, réfléchissant à voix haute sur cette approche thérapeutique où la terre devient traitement, c’est que nous reproduisons ce que les premiers pionniers ont fait en Amérique.»
* Le nom a été changé