Tereka a toujours eu des douleurs à l’estomac. Après avoir vu différents médecins, quelqu’un a enfin pris son mal-être en considération.
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La patiente: Tereka Eanes, 28 ans, coiffeuse
Les symptômes: terribles douleurs et crampes abdominales, diarrhée
Le médecin: Dr Kareem Abu-Elmagd, chirurgien à la clinique de Cleveland
Tereka Eanes ne se souvient pas d’avoir vécu sans maux d’estomac. Toute son enfance à Huntington, en Virginie-Occidentale, elle a eu des douleurs, des crampes et de la diarrhée, mais les médecins n’y voyaient jamais rien de sérieux. Elle avait plus de 20 ans quand ils se sont résolus à faire des tests, hélas peu concluants. Présumant que le problème venait de sa vésicule biliaire, petite poche sous le foie qui sécrète la bile permettant de digérer les graisses, ou encore d’un trouble digestif courant comme le syndrome du côlon irritable, ils lui ont conseillé d’éviter certains aliments tout en l’assurant qu’elle n’avait rien de grave.
En 2001, à 28 ans, la santé de la jeune coiffeuse continue de se détériorer: elle passe des heures aux toilettes à attendre que son ventre cesse de la torturer. Sûre de souffrir d’autre chose que de banals maux d’estomac, elle se rend à l’hôpital Cabell Huntington où on lui fait une radiographie de son estomac. Quand la technicienne reçoit le résultat, elle paraît déconcertée. Elle montre l’image à d’autres membres du personnel et finit par annoncer à une Tereka complètement médusée: «Votre estomac est du mauvais côté.»
Ce n’est pas tout. Un tomodensitogramme de l’abdomen de la patiente révèle d’autres anomalies: il y a plusieurs rates, le côlon est mal placé, tout comme les reins, l’aorte a une forme bizarre, la rotation de l’intestin est anormale, et des vaisseaux sanguins vitaux se trouvent à l’opposé de la normale.
La nouvelle bouleverse Tereka; personne ne s’attend à avoir des organes mal placés. Elle souffre d’un situs ambiguus, une hétérotaxie assez rare qui se produit au cours du développement intra-utérin de l’embryon et touche seulement une personne sur une dizaine de milliers. Et son cas est plus grave que la plupart. Exerçant dans une petite ville, sa généraliste n’a jamais rien vu de tel. Il est clair pour elle que les symptômes de sa patiente tiennent à ces anomalies. «Elle a été franche avec moi, reconnaît Tereka, mais au-delà elle ne savait pas quoi me dire.»
Tereka fait des recherches qui lui en apprennent davantage. La bonne nouvelle, c’est que ses organes fonctionnent, même mal placés; la mauvaise, c’est que la malrotation de son intestin risque de provoquer un volvulus, occlusion intestinale qui causerait des douleurs gastriques plus aiguës, des vomissements violents et des complications potentiellement fatales.
Mais même sans cela, la vie quotidienne de Tereka devient de plus en plus pénible. À l’établissement d’enseignement technique de sa ville natale où elle travaille, il lui arrive d’éprouver une violente douleur sous les côtes en s’assoyant à son bureau, comme si quelqu’un y enfonçait un couteau. C’est si intolérable qu’elle s’absente souvent pour se rendre à l’urgence. «C’était éprouvant et ça n’arrêtait pas d’empirer, dit-elle. C’est ce qui m’a poussée à consulter un autre médecin.»
Mais le gastroentérologue qu’elle voit, une «sommité», estime que c’est le stress qui aggrave ses symptômes. Il lui conseille de faire de l’exercice et de la méditation. «Vous devez vous persuader que vous n’avez rien de grave», lui déclare-t-il. La patiente est furieuse. Elle sait qu’elle n’invente rien.
Vers la fin de 2020, un collègue de Tereka lui suggère de s’adresser à la clinique de Cleveland. Sur le site web de l’hôpital, elle lit un article à propos d’une enfant en bas âge dont on a corrigé la malrotation intestinale. Tereka entre en contact avec la clinique et demande à voir le Dr Kareem Abu-Elmagd, le chirurgien qui a sauvé l’enfant. Lors du rendez-vous, il lui promet qu’il peut l’aider. «Il savait exactement de quoi je parlais, se rappelle Tereka, et l’idée que j’étais folle ne l’a jamais effleuré.»
Le Dr Abu-Elmagd dit que la malrotation intestinale seule est plus courante que le problème de Tereka – une personne sur 500 environ en souffrirait. Au moment de la consultation, il en a déjà opéré une centaine. L’intestin et le foie du fœtus se développent rapidement entre la huitième et la dixième semaine de grossesse, précise-t-il, et l’intestin subit alors une rotation de 270°, mais si quelque chose se passe mal, l’organe peut s’installer dans une mauvaise position, ce qui déclenche une réaction en chaîne.
Le mauvais développement de l’intestin entraîne celui du mésentère, l’organe qui le rattache à la paroi postérieure de l’abdomen. Selon une des principales théories, cela réduirait l’irrigation sanguine de l’intestin, ce qui entraînerait le déplacement d’autres organes et finirait par causer des symptômes comme ceux de Tereka: nausées, ballonnement, diarrhées et douleurs abdominales.
Pour aider les patients comme elle, le chirurgien prône deux mesures: un dépistage de ces anomalies chez les nouveau-nés pour qu’elles soient corrigées plus tôt, quand l’intervention chirurgicale est plus simple; et l’inclusion de la maladie dans le programme d’études des écoles de médecine. «Les diagnostics erronés sont courants», observe-t-il, en ajoutant que les médecins attribuent souvent les symptômes à des troubles psychiatriques.
En avril 2021, à la clinique de Cleveland, on corrige la malrotation intestinale de Tereka (chirurgie qui porte le nom de «méthode de Kareem» puisque c’est le Dr Abu-Elmagd qui l’a mise au point).
Après une semaine de préparation – analyse du sang, tomodensitogrammes, tests pour déterminer le transit de la nourriture et des liquides dans l’organisme –, elle subit une intervention de six heures qui consiste à retourner l’intestin de 180°, à retrancher une partie du côlon et à déplacer divers organes pour arriver à une image miroir d’un abdomen normal qui, quoique inhabituelle, n’en fonctionne pas moins bien.
À son réveil, Tereka souffre atrocement. «J’avais besoin de quatre personnes juste pour lever la tête», se souvient-elle. Mais c’est un autre genre de douleur: le résultat d’une opération, non d’un dérangement de l’estomac. Elle met quelques mois à s’en remettre. Au début de juin 2021, elle peut rentrer chez elle à Huntington et reprendre le travail, enfin délivrée des souffrances qui ont empoisonné sa vie. «Je ne savais pas bien comment vivre sans douleur, dit-elle en riant. Je pensais que j’allais devoir endurer ça jusqu’à la fin de mes jours. Je ne savais pas que je pouvais me sentir aussi bien.»
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