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La vie d’un super-héros de l’environnement

Changer ses habitudes et celles de toute la maison n’est pas une tâche facile, parole d’un super-héros de l’écologie.

Nishant Choksi
Greta Thunberg n’a qu’à aller se rhabiller. Contre le dérèglement climatique, le vrai militant, c’est moi! Depuis quelques semaines en tout cas. Depuis que nous avons fait installer les panneaux solaires dont une application sur mon téléphone me permet de suivre l’activité. Où que je sois, je peux ainsi connaître la quantité exacte d’électricité produite et celle que nous consommons. En ce moment, par exemple, nous exportons 2,37 kilowatts vers le réseau.

Confortablement installé à mon bureau, je m’abandonne avec délice au sentiment de sauver la planète. Pour tout dire, je gagne plus de 10 cents l’heure SANS LEVER PAS LE PETIT DOIGT. À ce rythme, je serai crédité d’un euro à la fin de la journée. Qui dit mieux?

Oui, bon, il faut quand même y mettre du sien. Depuis que j’ai endossé le rôle d’exportateur d’électricité, j’inspecte rigoureusement la maison pour maximiser notre production.

Et là, je dois composer avec les plaintes de ma femme Jocasta: «J’avais besoin de cette lampe pour lire», «Tu aurais pu sauvegarder mon travail avant d’éteindre mon ordinateur.»

Mais dans l’ensemble, je dirais qu’elle apprécie mes efforts.

L’application traque la moindre consommation, ce qui permet de vérifier au centime près l’économie que nous faisons en éteignant l’un après l’autre les ordinateurs, les lampes, les électroménagers et le routeur… J’ai même pu savoir combien d’«arbres» j’avais planté.

Il y a un hic. Hier soir, alors que j’avais tout éteint et débranché, il restait une trace de consommation de 0,05 kilowatt. J’ai vérifié le réfrigérateur. Pas de bourdonnement. Le ruban adhésif autour de la porte s’est révélé un excellent incitatif à la garder fermer. Tous les plafonniers étaient éteints.

J’avais retiré l’ampoule minuscule de la sonnette. Il ne restait aucun voyant lumineux en embuscade.

Pourtant, il continuait à s’afficher, ce 0,05 kW. Étais-ce un rat mort, les dents fichées dans un fil électrique au grenier? La nuit, j’ai à peine dormi à force de retourner toute la maison dans ma tête pour trouver le coupable.

Devenir écoresponsable, ça commence chez nous et voici comment y parvenir!

Au travail, ma collègue m’a gentiment suggéré de me mettre au boulot. Je peux comprendre, mais quoi de plus dur que de dévisser ses yeux de son application?

Maintenant, il est midi. Jocasta est à la maison. Elle devrait être au travail, mais – je jette un coup d’œil sur l’application – notre consommation explose. Je vais l’appeler et la sermonner: «Qu’est-ce qui te prends? Tu prépares encore du thé, c’est ça?» Je saisis mon téléphone, mais ma collègue me prévient. «Elle pourrait trouver ça flippant, tu sais, un peu directif, tu ne trouves pas?

— Tu crois? dis-je. Je pense à cette électricité que nous pourrions envoyer au réseau si elle se contentait d’un verre d’eau. Et si pour prendre du lait elle retire le ruban adhésif de la porte du frigo, le moteur va redémarrer…»

Ma collègue secoue la tête et pousse un long soupir de solidarité féminine.

Ramené à la raison, je n’embête pas Jocasta, mais mes pensées ont dû l’atteindre car la courbe de consommation plonge et frôle désormais le zéro. Et voilà, nous exportons maintenant 3,35 kilowatts vers le réseau, plantons 0,1 arbre et gagnons plus de 20 cents EN NE FAISANT RIEN.

Je consulte de nouveau l’application, disposé à profiter de cette heureuse nouvelle. Non! Les nuages s’amoncellent. C’est la catastrophe. Nous ne produisons rien. Rien du tout. C’est notre consommation qui bat tous les records. Nous pompons de l’électricité au réseau. Que fait Jocasta? Elle dirige une fonderie d’aluminium? Ma collègue intervient à nouveau. «Si tu continues, la batterie de ton téléphone sera à plat et tu devras la recharger en rentrant chez toi.»

L’argument est irréfutable. Je range mon appareil. Quand je rentrerai ce soir, les panneaux ne produiront plus rien. J’attendrai demain pour le recharger; dès les premières lueurs de l’aube.

Tôt le matin, avant le lever du soleil, je réveille doucement Jocasta et lui offre un bon verre d’eau du robinet. «Je t’explique, dis-je quand elle ouvre les yeux. Pour le boulot, tu écriras à la main aussitôt que le soleil disparaîtra derrière les nuages. Quand il réapparaîtra, tu rallumeras l’ordinateur et retranscriras rapidement ce que tu as écrit, mais en surveillant bien le ciel, au cas où il se couvrirait à nouveau.»

Cette fois, ma femme lève les yeux au ciel. Enfin, c’est ce que j’imagine. Il fait sombre dans la chambre et je n’ai pas allumé.

Il se trouve, explique Jocasta, que nous allons tous les deux sortir. Il n’y aura pas d’ordinateur à la maison. Ni de thé. Que le bourdonnement des panneaux: le bruit de l’électricité que l’on exporte.

Vers midi, au travail, je me permets de consulter l’application, uniquement pour calculer ce que nous avons gagné, combien d’«arbres» j’ai «plantés».

Quoi? Malheur! Les nuages se sont amoncelés et nous consommons de l’électricité? Pourquoi, mais pourquoi Jocasta a-t-elle laissé la télécommande à la portée du chien? Il faudra que j’aie une petite discussion avec lui.

Greta Thunberg le sait, il peut être difficile d’être en avance sur son temps.

Cette rubrique a d’abord été publiée dans le Sydney Morning Herald.


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