Les virus ont des effets beaucoup plus pernicieux sur l’organisme qu’on le croyait il y a quelques années à peine. On pense qu’ils sont associés de près à un certain nombre de maladies communes. Voici ce qu’il faut en savoir et les moyens à prendre pour éviter qu’ils ne vous ruinent la santé.
Étude après étude indiquent que les virus interviennent dans diverses maladies de longue durée, voire même fatales, sans qu’il y ait pour autant des symptômes. Faut-il en conclure que les maladies infectieuses débouchent toutes sur une maladie chronique? Pas nécessairement. Cependant, «nous devrions vraiment considérer sérieusement la possibilité qu’ils contribuent à diverses maladies» explique Nikhil Dhurandhar, professeur adjoint au département des infections et de l’obésité du centre de recherche biomédicale Pennington de l’université de la Louisiane.
Par nature, les virus sont particulièrement tenaces. «Une fois qu’ils sont dans les cellules, il n’est pas facile de s’en défaire», souligne Bhagirath Singh, directeur scientifique de l’Institut des maladies infectieuses et immunitaires de London (Ontario), qui est rattaché aux IRSC (Instituts de recherche en santé du Canada). «Ils ont une propension à rester dans l’organisme et à causer des maladies chroniques.» Nous savions déjà que le virus de la varicelle pouvait rester dans l’organisme des dizaines d’années après la disparition des boutons et se manifester plus tard sous forme de zona. Cependant, les résultats de nouvelles études indiquent que l’adénovirus 36, qui peut survivre dans l’intestin sans présenter de symptômes, pourrait déclencher l’obésité plus tard dans la vie, tandis que les coxsakievirus à l’origine du rhume banal contribueraient à la cardiopathie. Comme l’exprime l’immunologue de Vancouver Marc Horwithz : «Ce qui constitue un rhume banal pour une personne pourrait se transformer en cauchemar pour vous.»
La propagation des virus se fait par contact avec les fluides corporels ou les matières fécales d’une personne infectée : éternuements, baisers, sièges de toilette sales ou poignées de porte contaminées sont autant de vecteurs par lesquels ils pénètrent dans les voies respiratoires ou le tractus gastro-intestinal. Si les scientifiques trouvaient le moyen de bloquer leur accès aux cellules, le nombre de cas de personnes atteintes pourrait diminuer considérablement. C’est du côté de la mise au point de nouveaux vaccins et de médicaments aidant l’organisme à combattre les virus ou à prévenir l’apparition d’une maladie chronique, que les solutions viendront probablement.
Dans le cas du papillomavirus humain (VPH), qui se transmet par les relations sexuelles, la science peut se vanter d’avoir franchi toutes les étapes, depuis la découverte de son rôle dans le déclenchement d’une maladie chronique jusqu’à la mise au point d’un vaccin préventif. Comme bien d’autres, ce virus peut survivre dans l’organisme sans qu’on soit conscient de sa présence, mais nous savons qu’il est à l’origine de la plupart des cas de cancers du col de l’utérus. Cependant, nous disposons désormais d’un vaccin : approuvé au Canada pour l’administration aux filles et aux femmes âgées de 9 à 26 ans, le Gardasil protège contre le VPH associé aux condylomes et contre environ 70% des cancers du col.
Nous pourrions également disposer bientôt de médicaments bloquant la réplication des virus. Des chercheurs canadiens ont récemment trouvé le moyen de désactiver deux protéines «nocives» chez les souris, rendant ces dernières résistantes aux infections virales, explique Mauro Costa-Mattioli, co-auteur de l’étude en question et biochimiste à l’université McGill ainsi qu’à son centre de recherche sur le cancer. Ces protéines, la 4E-BP1 et la 4E-BP2, répriment la production d’interféron, première barrière du système immunitaire contre les infections virales. Une fois qu’on les a désactivées, l’interféron a pu de nouveau jouer son rôle de protecteur, prévenant la réplication du virus. Mauro Costa-Mattioli pense que les médicaments susceptibles d’exercer la même action dans le corps humain et, par conséquent, de le protéger contre les virus, devraient faire leur apparition dans une dizaine d’années environ.
Naturellement, la première étape dans la mise au point de vaccins ou de médicaments bloquant la réplication consiste à déterminer quels virus sont associés à quelles maladies chroniques, et comment ils font leur sale boulot. Voici, en bref, un compte-rendu des dernières découvertes scientifiques.
On sait depuis des décennies que les coxsackievirus et les adénovirus (les premiers provoquent le rhume, les seconds des infections des voies respiratoires ainsi que la gastro-entérite), de même que les parvovirus (qui causent la cinquième maladie, ou érythème infectieux, éruption cutanée très courante chez les enfants) atteignent parfois le cur, entraînant de l’inflammation. Bien qu’ils soient habituellement évacués de l’organisme au bout d’une ou deux semaines, on a montré, dans des études récentes, qu’ils pouvaient y rester bien plus longtemps. «Le virus est en cause une fois sur huit dans les cas nouvellement déclarés d’insuffisance cardiaque», souligne le docteur Peter Liu, directeur scientifique de l’Institut de la santé circulatoire et respiratoire, un IRSC de Toronto. Chez les personnes de moins de 30 ans, ce ratio passe à un pour trois.
En étudiant la façon dont les coxsackievirus interagissaient avec le système immunitaire pour provoquer la cardiopathie, les chercheurs ont été confrontés à un paradoxe : plus le système immunitaire est activé pour résister au virus, plus ce dernier se réplique. Une fois qu’il est dans le corps, le système immunitaire essaie de se défendre en produisant des globules blancs. Or, il se trouve que ces cellules sanguines peuvent en fait aider le virus. «Pour circuler dans l’organisme et se rendre au cur, le virus «chevauche» en quelque sorte les globules blancs, explique Peter Liu. On a surnommé ce phénomène scénario du cheval de Troie.». La compréhension de ce mécanisme, et d’autres, devrait permettre aux chercheurs de mettre au point des vaccins s’attaquant aux adénovirus, aux coxsackievirus, aux parvovirus et à d’autres virus qui sont en cause dans la cardiopathie. On sait déjà que le vaccin contre la grippe en diminue le risque. Selon Peter Liu, il faudra au moins quatre ou cinq ans avant que les nouveaux vaccins soient expérimentés dans des essais cliniques.
Les maladies auto-immunes sont des affections graves, habituellement chroniques, se caractérisant par une réaction excessive du système immunitaire, qui s’en prend aux cellules de l’organisme. La sclérose en plaques, l’arthrite rhumatoïde, le lupus et le diabète de type 1 en sont des exemples. Bien que ces maladies aient des causes diverses, à la fois héréditaires et liées à des facteurs externes, les virus peuvent être considérés comme d’importants déclencheurs. Ainsi, des études à la fois cliniques et épidémiologiques ont permis d’établir un lien entre : la sclérose en plaques et le coronavirus, le virus d’Epstein-Barr (VEB), l’herpesvirus 6, le virus JC et le virus de la rubéole; l’arthrite rhumatoïde et le VEB ainsi que les parvovirus; le lupus et le cytomégalovirus, le VEB et les parvovirus; le diabète de type 1 et les virus de la rubéole et des oreilles, les entérovirus, le rotavirus, le cytomégalovirus, le coxsackievirus et les parvovirus. «Je suis de plus en plus sidéré par le pouvoir des virus», s’exclame Marc Steven Horwitz, qui étudie ces différents liens à la division de microbiologie et immunologie du centre des sciences de la vie de l’université de la Colombie Britannique.
DIABÈTE DE TYPE 1. Une étude récente menée par Marc Steven Horwitz et ses collègues a permis de découvrir que l’administration conjointe de protéine TGF-bêta et de coxackievirus protégait les souris contre le diabète de type 1 sans supprimer pour autant la réaction immunitaire au virus. «Nous sommes vraiment emballés» confie le chercheur, qui dit espérer que la TGF-bêta ou un autre facteur semblable empêchera le virus de déclencher la maladie auto-immune chez les humains. Il estime que d’ici dix ans, nous disposerons de médicaments supprimant la réponse auto-immune tout en permettant à l’organisme de combattre le virus.
SCLÉROSE EN PLAQUES. Un VEB de la famille des herpesvirus réputé provoquer la mononucléose (la fameuse maladie du baiser, ainsi nommée parce qu’elle se transmet par la salive), pourrait être en cause dans de nombreux cas de sclérose en plaque. Au cours d’une étude récente, on a pu confirmer l’existence de ce lien. «Les personnes infectées par le VEB courent près de 10 fois plus de risques de souffrir de sclérose en plaques que les autres», souligne le docteur Alberto Ascherio, professeur adjoint en nutrition et épidémiologie à la Harvard School of Public Health. «Nous disposons de preuves à l’effet que si on pouvait prévenir l’infection au VEB, la sclérose en plaques pourrait être évitée dans la plupart des cas», confie-t-il, ajoutant que les chercheurs tentent toujours de comprendre la nature du lien entre ce virus et la maladie, et qu’ils travaillent présentement à mettre au point un vaccin.
Depuis 1982, on sait que divers virus causent l’obésité chez les animaux, et de nouvelles études indiquent que c’est également le cas chez les humains. Avec ses collègues, Nikhil Dhurandhar, du centre de recherche biomédicale Pennington de l’université de la Louisiane, a publié un article déterminant montrant que les personnes infectées par l’adénovirus 36 étaient plus susceptibles de faire de l’obésité que celles qui ne l’avaient jamais eu. «J’appelle cela de l’infectobésité. Bien sûr, l’obésité n’est pas toujours d’origine infectieuse, mais il est possible qu’elle le soit dans certains cas», explique le chercheur, qui reconnaît toutefois que cette notion est controversée. Mais, demande-t-il, comment expliquer autrement les énormes différences de besoins caloriques entre les gens? On en sait si peu sur l’influence que jouent l’hérédité, la biologie et la biochimie dans l’obésité, poursuit-il, ajoutant qu’il y a d’autres chercheurs dans le monde à s’intéresser de près à l’hypothèse virale. Selon lui, nous pourrions disposer d’un virus contre l’adénovirus 36 dans cinq ou dix ans.
Comment un virus pourrait-il causer le cancer? Bhagirath Singh des IRSC explique: le virus pénètre dans la cellule, lui imposant son propre mode de fonctionnement et la faisant muter de sorte qu’elle se multiplie de manière incontrôlée. « Pourquoi cela se produit-il chez certains et pas chez d’autres? Combien de temps faut-il pour que ce processus se mette en branle? Des facteurs tels que l’hérédité, l’ethnie et l’âge entrent en ligne de compte.» Le cas du PVH, et de son rôle dans le cancer du col de l’utérus, illustre parfaitement le lien qui existe entre virus et cancer. On a aussi établi des liens entre d’autres cancers et des virus. Ainsi, l’infection au VEB est associée à un risque plus élevé de souffrir du cancer du rhinopharynx et de certains types de lymphomes à développement rapide, de même que, possiblement, du cancer de l’estomac. Les virus de l’hépatite B et C peuvent augmenter le risque de souffrir du cancer du foie compte tenu qu’ils causent une infection chronique de cet organe. Quant au VIH, bien qu’il ne semble pas être directement lié au cancer, il affaiblit l’organisme au point que ce dernier est incapable de combattre d’autres virus, par exemple le VPH qui, lui, peut mener au cancer. Nous disposons de vaccins contre l’hépatite B et le VPH.
Atténuer le risque de contracter une maladie virale
En attendant que les vaccins et les médicaments bloquant la réplication des virus soient disponibles, on peut prendre un certain nombre de mesures qui atténueront le risque de contracter une maladie virale. La plupart des virus, explique Bhagirath Singh, se propagent par contact direct avec les fluides corporels. La mesure sur laquelle il insiste le plus, nous la connaissons tous : «Lavez-vous les mains avec du savon à la suite de toute activité vous exposant à des fluides corporels, y compris aux expectorations.» Il préconise également les relations sexuelles protégées afin de diminuer le risque de contracter une maladie virale transmise sexuellement et d’éviter de s’exposer aux virus du VIH, de l’hépatite et de la grippe. Enfin, une bonne alimentation, de l’exercice régulier et un sommeil adéquat contribueront, selon lui, à donner à votre organisme les forces dont il a besoin pour combattre les germes communs qui circulent autour de vous.
Si vous contractez une maladie virale, restez à la maison, conseille Peter Liu. On a montré dans des études que le virus du rhume banal pouvait remonter jusqu’au cur. «Si vous êtes malade, votre muscle cardiaque pourrait être affaibli. Reposez-vous et laissez la nature accomplir son oeuvre de guérison. Vous devez faire en sorte que votre maladie soit de courte durée. »
On a toujours eu du mal à maîtriser les virus. Selon les chercheurs des Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis, le véritable potentiel que présente la prévention ou le traitement des infections dans le but d’éviter ou de minimiser l’incidence des maladies chroniques est peut-être encore sous-estimé. Mais, chose certaine, nous sommes en train de nous armer des connaissances nécessaires pour se montrer plus malins qu’eux, aujourd’hui et dans le futur.